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Le bureau en question (2)Meilleure productivité, air purifié, sensation de bien-être sont autant d'avantages attribués aux plantes en entreprise qui, depuis quelques années, peuplent bien plus que nos seuls «coins de bureau». Psychologue du travail et architectes ont répondu à nos interrogations autour de ce qui semble être une nouvelle tendance dans le 2e volet de notre série consacrée au bureau.
© OKrasyuk
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Les citadins cherchent-ils à se reconnecter au vivant ? La pandémie a-t-elle mis en évidence des besoins humains longtemps enfouis, pour répondre à l’«économisme» et au «productivisme» ? À l’origine du premier volet d’une longue enquête consacrée aux «penseurs du vivant» et publiée dans Le Monde tout au long de l’été 2021, le journaliste Nicolas Truong partage cette certitude : les urbains formulent l’envie de plus de «vert» et se disent même «prêts à quitter les villes surchauffées pour une maison de campagne à retaper, un village isolé ou un hameau partagé.»

Cette envie semblait déjà toucher plusieurs sphères de la vie sociale en mai 2020 au lendemain du premier confinement, alors que les employés retournent petit à petit au bureau. Dans sa chronique C’est mon boulot diffusée sur France Info, Philippe Duport rapporte les incertitudes des salariés face à l’organisation de leur environnement de travail. Selon lui, «sept sur dix aimeraient que le retour au bureau soit l’occasion de changements dans l’organisation des espaces avec, si possible, de la végétation

La plante sur le bureau, ce retour à la terre

Deux ans plus tard, force est de constater que cette «tendance» est bien réelle à en croire notamment le Parisien qui en octobre dernier titrait Nuage et fauteuil acoustiques, mur végétal… Le bureau de demain sera plus sain et plus écolo. À la lecture de l’article, on découvre ainsi le «mur de mousse végétale» qui pourrait bien faire son apparition dans vos entreprises d’ici quelques mois. Pensé par la start-up Power of Moss, il «attire de manière électrostatique les particules présentes dans l’air» selon son fondateur pour ensuite les «biodégrader et les transformer en phytomasse

Une innovation qui va bien plus loin que la seule «plante sur le coin du bureau» qu’évoquait l’architecte et psychologue du travail Elisabeth Pelegrin-Genel en 1994, dans son ouvrage L’angoisse de la plante verte sur le bureau. Interrogée par téléphone, elle explique qu’à l’époque, le sujet «n’intéressait strictement personne», et même au-delà de la question du végétal en entreprise c’est l’aménagement des bureaux dont on se souciait peu :

«Dans les années 1995, j’ai travaillé pour une grosse agence dans laquelle on faisait du “bureau au kilomètre“, il n’y a pas d’autre mot. Les bureaux étaient tout à fait corrects en termes de conception mais il y avait strictement zéro réflexion sur ce qu’il se passait dedans.»

Depuis, pour celle qui consacre une partie de ses travaux «au rôle de l’espace et la manière dont il nous formate», un virage s’est opéré qui va dans le sens d’un plus grand souci pour notre environnement immédiat, moins contrôlé et plus vert. «La plante verte sur le coin du bureau qui était encore présente au milieu des années 1990 a brutalement disparu au profit des écrans. On les trouvait encore dans les halls ou dans de grands bacs qui divisaient les bureaux paysagers ou open-spaces mais plus sur le bureau. C’est seulement dans les années 2000 à peu près que ces sujets sont revenus sur la table», estime-t-elle.

Directrice générale d’Actineo — l’observatoire de la qualité de vie au travail, Odile Duchenne dit, dans le cadre de ses activités, observer elle aussi cette plus grande demande de présence de nature. «Depuis dix ans, nos études montrent que l’intérêt pour plus de nature s’accélère, la demande croit et se diversifie», avance-t-elle. Cette dernière énumère pêle-mêle l’avènement de potagers dans les espaces intérieurs comme extérieurs des entreprises, la création de murs végétaux ou encore de ruches. «Tout cela va dans le sens d’un plus grand lien avec la nature, commente-t-elle, comme un retour archaïque à la terre je crois.»

De la crise écologique à l’effet d’image

Pour le philosophe Baptiste Morizot — dont le journaliste Nicolas Truong, déjà évoqué dans cet article, reprend les propos —, cette recherche de nature trop souvent négligée ces dernières décennies correspond à une «crise de notre relation au vivant» en lien avec la «déflagration écologique que nous traversons.» Comme une réaction à cette déconnexion, les salariés interrogés par Actineo démontrent d’ailleurs un attrait tout particulier pour les «entreprises qui aujourd’hui veillent au respect de l’environnement» :

«Les bureaux et leur aménagement doivent refléter la culture et les valeurs de l’entreprise, ils doivent être agréables, ouverts, et la présence de végétation est aussi favorisée.»

Le lien entre respect de l’environnement et la présence de végétal n’est pourtant pas évident à première vue. «La question du végétal en entreprise a quelque chose de très consensuel, réagit Elisabeth Pelegrin-Genel, il y a une part de décoration d’abord et un effet d’image contre qui personne ne s’oppose aujourd’hui.» Ce phénomène «plante décoration», Sabrina Ananna l’observe tous les jours. Co-fondatrice d’aKa Green, elle porte à travers un service d’achat, de location et d’entretien de plantes pour des entreprises, l’ambition de «reconnecter les espaces de travail à la nature afin d’améliorer le quotidien des collaborateurs.»

Pourtant bien loin de ces considérations, la plupart des clients d’aKa Green s’adressent d’abord à l’entreprise pour «décorer leurs bureaux» davantage que pour se «reconnecter à la nature», admet Sabrina Ananna. «C’est tout l’intérêt de notre démarche chez aKa Green, le fait d’éveiller les consciences environnementales au contact de la plante, la replacer au centre plutôt que de la laisser dans un coin.» Car pour l’entrepreneuse, l’un ne va pas sans l’autre : vivre au contact de plantes c’est aussi restaurer un lien perdu à la nature et permettre de faire évoluer les comportements de chacun. «Depuis le départ, nous prônons une approche de la végétalisation biophilique, raconte-t-elle, c’est-à-dire le fait d’intégrer le vivant au sein de l’espace de travail.»

Plus d'inspiration et moins de fatigue

Selon plusieurs études dont l’entreprise se fait l’écho — l’une est menée par le professeur et biologiste norvégien Tove Fjeld en 2000, l’autre intitulée Human Spaces est publiée en 2015 par le professeur Sir Cary Cooper pour l’Université de Lancaster — , la présence de plantes dans un espace permettrait de réduire la fatigue de 30%, d’augmenter l’inspiration et la créativité de 14% ou encore de réduire l’absentéisme jusqu’à 10%.

Elisabeth Pelegrin-Genel tout autant qu’Odile Duchenne expriment toutefois quelques réserves sur les résultats de ce type d'études et estiment qu’il s’agit avant tout d’un bien-être instinctif perçu par le salarié qui exerce dans des espaces plus lumineux, plus colorés et plus verts «ce qui est déjà très important et peut notamment faire tomber le niveau de stress, surtout lorsque l’on est dans un grand espace sans intimité», concède Odile Duchenne.

Architecte pour R Architecture, Rodrigue Lombard préfère rester prudent sur le sujet estimant que cette tendance tend à s’apparenter à une forme de «greenwashing». «Nous ne considérons pas expert du sujet de la végétalisation des espaces, nous ne sommes pas dans une démarche sanitaire, et nous n’en faisons d’ailleurs pas quelque chose de systématique dans nos projets», détaille l'architecte.

Selon lui, il existe bien d’autres procédés pour faire valoir l’intérêt porté à l’environnement dans le cadre d’un projet d’architecture à l’instar du processus de réemploi que l’agence s’est appliquée à mettre en œuvre dans le cadre du projet de restructuration de l’immeuble des Bons Enfants pour le ministère de la Culture. «Ces projets verts qui renvoient une image écologique, je pense que ce n’est pas ce que recherchait le ministère, avance-t-il, on a préféré mettre en avant le réemploi de matériaux sur le site davantage que la végétalisation des espaces.»

Végétaliser les bureaux : une démarche “pas systématique’’

Pour autant, des plantes (et même des arbres!) dans les espaces restructurés de l’immeuble de verre et d’acier initialement pensé par Francis Soler, il y en a, mais pas à tous les étages tempère Rodrigue Lombard :

«Nous avons utilisé le végétal comme une matière, un dispositif spatial qui crée une ambiance et cloisonne les espaces de manière douce.»

C’est notamment le cas pour le café installé au rez-de-chaussée du bâtiment. Ce grand espace traversant depuis la rue jusqu’au jardin central sera ponctué de trames végétales linéaires (dans des bacs encastrés au sol, ou dans le mobilier), de végétation en pot soigneusement sélectionnée avec l’entreprise Les Jardins de Gally pour leur taille et leur essence ainsi que de trois arbres encastrés dans le sol qui s’affirment comme un rappel à l’extérieur. «La végétation vient rappeler que l’on est à la croisée de la ville et de ses rues d’un côté et du jardin de l’autre», commente l'architecte.

Un choix qui n’a pour autant pas été fait pour les bureaux, les belvédères ou pour les salles de réunion. «Nous n’avons pas voulu imposer le 100% végétal dans le projet mais plutôt pris la décision de laisser chacun s’approprier les espaces», justifie Rodrigue Lombard. Car s’il y a souvent consensus au moment de la proposition de projet, la végétalisation des espaces de travail rencontre souvent quelques réticences au moment de sa mise en place rapporte-t-il par expérience. «Que ce soit pour l’entretien, des allergies ou une sensibilité importante, certains collaborateurs expriment leur crainte face au végétal et notre travail est aussi d’accompagner notre parti pris pour y répondre au mieux.»

Plantes, espaces extérieurs, télétravail : une nouvelle vision de la liberté

Une présence de nature accrue, des espaces de travail aménagés en extérieur, des immeubles de bureaux adaptés au travail en équipe et orientés sur le bien-être, moins de transport, une organisation flexible avec 2 à 3 jours de télétravail par semaine : s’il ne fallait citer que quelques critères évoqués, voici le cadre de travail idéal décrypté par un panel de salariés interrogés par l’observatoire Actinéo dont Odile Duchenne nous a transmis les premiers résultats. «Le flex-office est accepté, mais seulement s’il est combiné à d’autres espaces», commente-t-elle.

© Prostock-Studio

Pour Elisabeth Pelegrin-Genel, l’ensemble de ces demandes correspond à une nouvelle vision de la liberté qui s’exprime à travers une plus grande flexibilité des lieux et du temps qui remonte à quelques années avant la crise. «Depuis plus de 5 ans, plusieurs grandes entreprises ont compris l’intérêt de la mise en place du flex-office. En échange, les salariés ont commencé à faire du télétravail et donc bénéficier d’une nouvelle liberté de mouvement et d’organisation

Les déplacements au bureau se faisant plus rares désormais, il devient donc du ressort des entreprises de proposer un cadre plus soigné à ses salariés, ce qui peut passer par le végétal. «C’est un peu la cerise sur le gâteau, commente la spécialiste, pour proposer une meilleure fluidité d’espace, de séparation douce, etc. Mais c’est un phénomène global, ce n’est pas qu’une histoire de plante verte.»

Cet article, rédigé par la rédaction de tema.archi, a été initialement publié le 17 janvier 2022, sur une plateforme en ligne à destination des agents du ministère de la Culture, à l'occasion du projet Camus qui vise à réorganiser les bâtiments de l'administration centrale du ministère.

Marie Crabié
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