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Le bureau en question (3)En partie désertés depuis près de deux ans, nos bureaux voient leur organisation radicalement transformée, notamment pour répondre aux nouveaux usages qui en sont fait à l'heure où le télétravail s'installe durablement dans les mœurs. Revue de presse et le 3e volet de notre série consacrée au bureau.
© gorodenkoff
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Mais où est passé le bureau du patron ? Dans le monde d’avant, on le trouvait plutôt dans les étages supérieurs des locaux des entreprises — matérialisant ainsi la hiérarchie, et avec une vue panoramique de préférence. Mais dans le monde d’après, il n’y aura peut-être plus personne à cet étage transformé tout entier en salles de réunion, augure Guillemette Faure.

«Les salariés ne sauront peut-être même pas où se trouve la direction», renchérit la journaliste dans sa chronique publiée dans Le Monde en juillet 2021, ouvrant ainsi la série de six articles consacrés au travail post-Covid. Celui d’après la crise sanitaire et d’après le télétravail généralisé, qui remet largement l'organisation des entreprises et ses codes en question.

À commencer par l'idée selon laquelle le bureau constitue un véritable «distributeur de statut social depuis le début du XIXe siècle», à en croire l’Américain Nikil Saval, auteur de l'ouvrage Cubed, A secret History of the Workplace — non traduit en français, et dont la tradition perdure encore jusque dans les années 2000. Et pour cause, à cette époque il n'est alors pas rare pour certains responsables de disposer de bureaux mesurant près de trois mètres de long.

Du bureau avec vue au flex-office

Pourtant, aujourd’hui et au regard de l'organisation bouleversée des entreprises depuis la crise sanitaire, «le bureau de président à quatre portes et cerbères pour arriver jusqu’à lui est en train de disparaître», assure l’architecte Jean-Michel Wilmotte auprès de Véronique Lorelle dans l'article Design : le renouveau du bureau. Pour l’architecte Philippe Chiambaretta, c’est d'ailleurs un leurre de penser que les jeunes générations sont aujourd'hui attirées par de plus grand bureau, corollaire d’un statut social et hiérarchique plus conséquent.

L'heure semble davantage à la flexibilité et au «tout sur place» comme l’évoque, déjà en 2018, le quotidien Le Monde dans son article Quand les millennials poussent les entreprises à repenser les lieux de travail. Interrogée à cette occasion, la Directrice générale adjointe de la Société Foncière Lyonnaise Aude Grand explique que la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est de plus en plus poreuse :

«Les bureaux sont un lieu de travail mais aussi un lieu de vie. C’est-à-dire un lieu où l’on doit pouvoir tout aussi bien travailler que se détendre, se reposer, faire du sport, jouer, prendre des pots, voire faire des courses.»

Dans les faits, cette nouvelle vision du rôle du bureau dans la vie des employés constitue un véritable enjeu d'aménagement des espaces de travail. Selon le directeur général de Kardham Frédéric Miquel interrogé par Le Point, «les espaces de travail doivent [désormais] exprimer l'identité de l'entreprise, renforcer le lien d'appartenance des salariés et amplifier les fonctions de socialisation.» Résultat : moins de postes individuels au profit d'espaces collaboratifs et de zones de convivialité où «règne le modulaire».

Le bureau comme à la maison, en mieux

Cette tendance du mobilier modulaire et flexible prend diverses formes et correspond, selon la journaliste Véronique Lorelle pour Le Monde, aux «usagers dans l'entreprise» qui ne semblent plus tenir en place. Fauteuil ergonomique sur roulette, tables réglables, écrans nomades, cloisons antibruit constituent autant de mobiliers designs qui se déplacent dans les espaces de travail pour répondre aux besoins mouvants des entreprises. «Les produits pour le bureau sont plus chaleureux, plus conviviaux et humains que jamais», appuie Karin Gintz, directrice des ventes chez Vitra interrogée par la journaliste.

Un point de vue partagé par les architectes Ivana Barbarito et Benjamin Bancel, récemment propulsé sous le feu des projecteurs pour leur récent projet de rénovation des bureaux de Moët Hennessy à Paris. Pour eux, «il s’agit d’aménager des espaces de travail contemporains, non plus pensés en termes de productivité au mètre carré mais de lieu de vie favorisant le bien-être et les échanges, ce qui vise à l’efficacité au travail.» Le beau, loin d’être accessoire s’affirme ainsi dans le projet comme un besoin élémentaire, ce que Thierry Pillon — co-auteur de Le Corps au travail. Performance, discipline, fatigue — désigne plus globalement auprès de Le Monde comme la recherche «d’un art de vivre global au bureau, assorti de services comme conciergerie, cantine ou crèche», version XXL.

Bien loin du bureau de trois mètres du responsable d'entreprise et du mobilier de bureau standardisé, la promesse d'une entreprise qui pense «hors du cadre» c'est aussi celle qui sait faire le pari d'un mobilier «comme à la maison» plutôt que d'un environnement trop professionnel et dénué d'humanité. Entendu : «Le mètre étalon n’est plus “une personne, un bureau”, mais “un bureau, des fonctions”. Les DRH sont désormais impliqués dans la réflexion d’anticipation et replacent l’humain au cœur du sujet même lorsqu’il faut compter en nombre de flex office», appuie Vincent Dubois, directeur général de l’agence Archimage auprès du Figaro Madame.

Du bureau au canapé

Mobilier design sur-mesure, confort amélioré, identité renforcée : l’ambition portée par les entreprises pour rendre le bureau attractif propulse ainsi les aménageurs sur le devant de la scène. Pour Julien Diard, créateur de Moore Design, l’adaptabilité des espaces (et non l’hybridation) permet de répondre aux besoins de chaque entreprise sans systématiser le processus de réflexion. «Si l’on prend l’exemple de la mise en place du flex-office, celle-ci correspond à une observation du taux d’occupation parfois très faible des bureaux dans les entreprises et permet une optimisation des espaces de travail, sans pour autant provoquer une réduction de ceux-ci», assure-t-il.

Fin 2020, le taux d'occupation des bureaux atteint entre 15 % et 25 % seulement en France, selon Les Échos qui s'applique à comparer les pratiques dans différents pays d'Europe. En cause, moins de transport, une plus grande flexibilité d’organisation, une plus grande tranquillité pour se concentrer : les arguments sont nombreux pour les salariés qui ont vu leur quotidien bouleversé et ne souhaitent pas revenir au «monde d'avant». À peine quelques jours après la levée des restrictions liées à la crise sanitaire en Grande-Bretagne par le ministre Boris Johnson, The Guardian listait justement ce qui «restera pour toujours» de cette période forcée de télétravail et dont le magazine en ligne Slate se fait en partie l'écho en français.

Mais Le Parisien alerte : si le confort en télétravail a augmenté en l’espace de deux ans, les mauvaises postures coûtent toujours cher aux salariés. «Combien de télétravailleurs sont-ils correctement équipés pour travailler à domicile ? Deux ans après la généralisation massive de cette pratique avec l’épidémie de Covid-19, il semble y avoir du mieux : selon un sondage réalisé par le spécialiste des fournitures de bureau JPG, 73 % d’entre eux considéraient être bien installés en 2021, contre 69 % en 2020.»

Le dilemme de la chaise de bureau

Pas si simple pourtant, pour la plupart des salariés qui ont vu le bureau s’inviter à la maison, et le casse-tête qui l’accompagne en matière de mobilier. Isabelle Morin évoque pour le quotidien canadien La Presse, le dilemme de la chaise de bureau :

«Mais peut-on vraiment conjuguer design et ergonomie de travail en une même chaise ? Telle est la question.»

«Le problème du mobilier de maison est la standardisation. Pour une utilisation ponctuelle, comme au moment des repas, ce n’est pas un enjeu, mais ça le devient si on utilise une chaise plusieurs heures par jour», assure Miguel Laurin, ergonome associé chez Intergo et interrogée dans ce cadre. Ergonomie et ergothérapeute, Pascaline Eloy se veut plus alarmante sur les conséquences d’un tel inconfort : «Un mauvais équipement de travail et une position statique provoquent un inconfort et une fatigue, mais peuvent vite dégénérer en troubles musculo-squelettiques au cou, au dos, aux bras.»

À peine quelques jours après le retour du télétravail obligatoire en France — du 3 janvier au 1er février 2022, les articles sur les risques liées à ces mauvaises postures tout autant qu’à la sédentarité se sont multipliés. Le Monde parle même de «“phlébite du télétravail’’, parfois chez des patients assez jeunes, qui peuvent rester douze heures par jour devant leur ordinateur quasiment sans bouger.»

«L’homme n’est pas fait pour être assis pendant 8h quoi qu’il arrive, abonde Julien Diard, ce qui peut être réglé par des postes assis-debout que l’on a vu apparaître dans les bureaux il y a déjà une dizaine d’années en Scandinavie, ce que nous n’avons encore pas bien intégré en France.» Au-delà du siège, la question du réglage de ce dernier pose également question selon lui :

«En France ou en Europe du Sud, on ne règle quasiment jamais notre siège. Progressivement aujourd’hui, on arrive à des concepts plus simples d’utilisation pour faire changer les pratiques mais ça prend du temps.»

À l’origine du lancement de l’offre de mobilier de bureau «Home Office x Moore» dont la promesse tient à un confort de travail équivalent à la maison comme en entreprise, Julien Diard constate une demande relativement faible principalement dû à une barrière entre vie professionnelle et personnelle. «Le poste de travail ergonomique au milieu du salon n’est pas forcément très bien intégré tout de suite, là aussi il faudra du temps», estime-t-il.

Ce à quoi s’ajoute le coût du télétravail, très variable d’un salarié français à l’autre selon Le Figaro qui estime à «402,88 euros [en moyenne par salarié] l'achat unique pour le mobilier et le matériel informatique.» Un investissement qui tend progressivement à se généraliser à en croire une étude réalisée par le belge Aion Bank qui tente aujourd'hui d'évaluer le coût de tels aménagements, et dont BFMTV se fait l'écho : «Si au départ ce nouvel espace professionnel a été improvisé à la hâte, la plupart des télétravailleurs ont peu à peu ressenti le besoin d'aménager un cadre professionnel plus durable et d’investir dans l'amélioration de leur bureau à domicile.»

Marie Crabié
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