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Un pied en agence (3)En l'espace de 30 ans, les agences d'architecture en France font état d'une baisse drastique de leurs honoraires dans le coût global d'investissement du projet. En cause : des contraintes administratives et budgétaires mal gérées, une méconnaissance des missions de l'architecte et une sous-estimation du coût du projet, parfois par les architectes eux-mêmes.*
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En 2030, que sera le métier d’architecte ? Plus généraliste, conscient de l’urgence écologique et capable de profonds changements. Le tout, à condition d’une plus forte protection du port du titre, tout autant que d’une promotion réaffirmée de l’intérêt public de l’architecture : c’est en tout cas le portrait qu’en dresse une enquête d’opinion commandée par le Conseil national de l’Ordre des architecte (CNOA) à l’IFOP, en 2013.

Plus qu’une projection à l’horizon 2030, l’étude dessine le contour d’une profession à l’optimisme alors en berne, toutefois prête au changement de cap si les pouvoirs publics et l’Ordre des Architectes soutiennent ces transformations. En cause, les contraintes règlementaires et administratives (71% des personnes interrogées se déclarent insatisfaites sur ce point), le niveau de rémunération (65%), la charge de travail ou encore le niveau de responsabilités (56%) porté par les architectes au regard de leur faible reconnaissance.

La santé financière fragile des agences

Près de dix ans plus tard, où en est-on ? Les derniers chiffres communiqués par le Conseil national de l’Ordre des architectes datent de l’hiver 2020, quelques mois après la période de confinement strict imposé en France en réponse à la crise sanitaire, dont les agences sortent particulièrement affaiblies par l’arrêt des chantiers et la diminution des commandes. Intitulée Comment va votre agence ?, l’étude relève alors que 68% des agences interrogées finissent l’année 2020 «en net recul de chiffres d’affaires par rapport à 2019, les plus petites agences subissant le choc le plus important».

© via IStock

L’enquête fait état d’une santé financière fragile des agences interrogées : quand 25% d’entre elles déclarent posséder six mois ou plus de trésorerie, près de 18% des agences s’en voient entièrement privées. «La crise sanitaire a certainement accentué encore la délicate situation financière de nombreuses agences, confirme Sophie Szpirglas, mais les problèmes de trésorerie et de perspective économique à plusieurs mois ne sont pas nouveaux.»

Dans cette équation, ce n’est pourtant pas l’activité qui manque, observe Dominique Noël, à la tête de l’agence de recrutement Archibat. Certes, la crise sanitaire a mis un frein aux chantiers mais les architectes ont en majeur partie continué à télétravailler précise-t-elle :

“Aujourd’hui, le marché est reparti à un rythme particulièrement soutenu qui justifie de nombreux recrutements.”

Une situation qui ne date pas d’hier

Le problème ne se situe donc pas dans l’activité, mais bien dans les honoraires de la profession sur chacun des projets menés. «Sur un contrat signé par un architecte, la moitié du temps qui y est consacré est payé, l’autre relève du temps de loisir», résume Sophie Szpirglas. Désormais retraitée, elle fonde l'agence Méthodus en 1996 pour accompagner et conseiller les architectes et autres acteurs de maîtrise d'œuvre (bureaux d'études, paysagistes, etc.) sur l’ensemble de leurs démarches administratives ainsi que l’organisation et la gestion de leur entreprise. À travers ses missions, elle observe la lente dévalorisation des honoraires des architectes au fil des décennies, jusqu’à un véritable effondrement des rémunérations.

En 1973, la publication du décret relatif aux conditions de rémunération des missions d'ingénierie et d’architecture remplies pour le compte des collectivités publiques assure pourtant «les conditions d’un travail sans marcher sur la tête», analyse Sophie Szpirglas. «À cette époque, les honoraires des architectes peuvent représenter 12 à 18% dans le cadre d'un projet public et 15 à 20% en privé», appuie-t-elle. Le traité de Maastricht dont on fête cette année les 30 ans, porte toutefois un coup à la profession, qui voit les barèmes supprimés et remplacés par des taux indicatifs.

© vm

«Le souci, c’est que personne ne les applique. Les maîtrises d’ouvrages commencent rapidement à négocier à la baisse avec des architectes qui ne sont pas habitués aux questions de gestion et ne se rendent pas compte de la valeur qu’ils ont entre les mains», déplore-t-elle. Résultat : en quelques années, les taux de rémunération s’effondrent pour laisser progressivement place à une «culture de la maîtrise d’ouvrage» qui initie bientôt le phénomène de dumping :

“Au début des années 2000, les architectes sont encore assez bien rémunérés, la profession connaît le plein emploi pendant plusieurs années et peu de questions se posent autour de leurs honoraires.”

Le tabou de 2008 et l’avenir des villes bousculé

La crise de 2008 porte un coup d’arrêt à la profession et provoque un effondrement des rémunérations à des niveaux inédits pour atteindre 2% d’honoraires. «Le sujet est encore tabou en France, par pudeur, superstition ou espoir. Mais il ne fait guère de doute que la crise économique, doublée d'une tardive prise de conscience écologique, aura un impact majeur sur l'architecture et sur l'avenir des villes», écrit alors Frédéric Edelmann dans Le Monde. De nombreux projets culturels sont stoppés, le logement individuel (25,9%) et collectif (19,7%) enregistrent un fort recul du nombre de mises en chantier l'année suivante.

«Tout le monde se tire la bourre pour décrocher des projets à cette époque, jusque, dans certaines situations travailler à perte», alerte Sophie Szpirglas, invoquant l’importance du temps dans les missions assurées par l’architecte, un «temps incompressible et nécessaire pour s’actualiser, se former et faire le travail correctement», insiste-t-elle.

© SolisImages

Dans un document présentant l’impact de la crise sur la pratique des architectes paru à l'aune de 2010, le Conseil national de l’Ordre atteste d’une baisse conséquente des salaires des architectes du fait de la déprime économique, de l'ordre de 24,3 % pour les architectes exerçant seuls contre 50,8 % pour les structures de sept salariés et plus. Une tendance générale qui s’est même aggravée en 2009 du fait du repli des marchés ainsi que la multiplication des consultations pratiquant une diminution anormale des taux d’honoraires pour des missions complexes, avance l’étude. «Aujourd’hui, nous ne sommes plus du tout dans ces chiffres là», tempère toutefois Dominique Noël qui témoigne d’une reprise de l’activité particulièrement soutenue dès 2010, «les salaires sont d’ailleurs nettement à la hausse depuis trois - quatre ans», soutient-elle.

La conception, une prestation intellectuelle mal (re)connue

Mais quelle est aujourd’hui la valeur de la prestation intellectuelle d’un architecte ? «En école, on nous apprend à être créatifs, en France on est très bons pour ça. Mais quand on arrive en agence, on ne sait pas composer avec toutes les contraintes administratives, budgétaires et logistiques du projet», soulève Étienne, architecte en cours de formation pour l'obtention de l'habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP).*

Pour Fanny, architecte diplômée d'État (DE), la juste rémunération du travail de l’architecte passe avant tout par la meilleure connaissance de ses missions par l’ensemble des acteurs du projet, regrettant aujourd’hui une certaine déconnexion observée dans le rapport aux maîtrises d’ouvrages et aux entreprises. C’est d’ailleurs l’un des points soulevés par l’étude réalisée par le Conseil national de l’Ordre des architectes qui affirme que 53% des sondés se disent en faveur d’une sensibilisation des maîtres d’ouvrage, qui semblent méconnaître le rôle réel de l’architecte.

La manière dont sont calculés les honoraires est d’ailleurs peut-être liée à ce décalage. Pour Sophie Szpirglas, la rémunération de la mission de maîtrise d’œuvre au pourcentage du coût global d’investissement n’est basée sur «aucune raison objective» :

“La mission d’un architecte sur un projet, c’est avant tout du temps passé à le réaliser.”

© Jacoblund

Le problème, abonde le secrétaire général pour le Syndicat national des professions de l'architecture et de l’urbanisme (SYNATPAU) Stéphane Calmard, résulte aujourd’hui d’une forme de «dévalorisation globale de la profession d’architecte». Une dévalorisation à la fois des maîtrises d’ouvrages et des pouvoirs publics mais aussi, «des architectes eux-mêmes qui tendent à sous estimer le coût du projet et de la création au profit d’autres acteurs.» «La responsabilité d’un architecte quand il signe un plan ou assure le suivi d’un chantier est démesurée en comparaison à la rémunération qu’il en tire», commente en ce sens Fanny.

Un manque de considération qui implique certains abus. «Les stagiaires faisaient le travail d’un salarié. L’architecte refusait toute gratification lorsque ça n’était pas obligatoire et lorsqu’il y avait surcharge de travail, il recherchait de nouveaux stagiaires», raconte Antony, architecte pour une agence à Rouen pendant trois ans.

Un risque de «nuire à la pérennité de la construction»

Des honoraires calculés au rabais, des missions mal connues et des salaires en berne, voilà qui peut avoir de nombreuses conséquences sur l'acte de construction du bâtiment lui-même. Jean-Marie Bienvenu, architecte et ex-président du Conseil régional de Basse-Normandie, met en garde sur les «surcoûts de fonctionnement, d’entretien et d’usage» que cela peut entraîner et, à termes, «nuire à la pérennité de la construction», exprime-t-il à l'occasion de l’étude menée au lendemain de la crise de 2008 par le Conseil national de l’Ordre des architectes.

* Les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés. Paru à 7h06 le 29 avril, l'article a été modifié à 12h24 pour ajout d'une précision concernant la formation de l'une des personnes interrogées. Cet article est issu d'une série de publications qui s'intéressent aux conditions de travail en agence d'architecture. Le premier et le deuxième volet des articles sont disponibles à la lecture.

Marie Crabié
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