Rechercher un article
Recevoir notre newsletter
L'email entré semble incorrect
Un e-mail de confirmation vient de vous être envoyé
[Retour à tema.archi]
EntretienComment concevoir une ville accueillante pour toutes les générations ? Quels espaces publics imaginer pour faire en sorte qu'elles se rencontrent et s'entraident les unes les autres ? Nous avons posé la question à l'anthropologue urbaine et géographe suisse Sonia Lavadinho. Entretien.
© Sonia Lavadinho
© Sonia Lavadinho
Lancer le diaporama en plein écran

Anthropologue urbaine, géographe, fondatrice du cabinet spécialisé dans la recherche & prospective en mobilité et développement territorial durables Bfluid, Sonia Lavadinho s'intéresse de près à toutes les relations que l'humain tisse avec son environnement direct : sa manière d'habiter.

Notamment connue pour ses travaux sur les mobilités et véritable experte de la «marchabilité», la spécialiste est revenue avec nous sur les enjeux de cohésion sociale et intergénérationnelle en ville. Rencontre.

tema.archi : Au regard de votre expertise et de vos sujets d'études, quels constats tirez-vous à l'heure actuelle des échanges entre les différentes classes d'âge en ville ?

Sonia Lavadinho : Si l'on prend les jeunes publics et les personnes âgées qui sont les publics les plus fragiles, je dirais qu'à l'heure actuelle l'enjeu de leur autonomie est un peu malmené. C'est-à-dire que lorsque l'on essaye de mettre du soin aujourd'hui, on est très souvent dans une attitude qui consiste à retirer l’autonomie des gens, à les isoler du tissu social et ce, au nom de bonnes intentions.

On cherche alors à les mettre en sécurité, à leur fournir des services spécifiques et ça amène très souvent à cliver la société au sens de créer des espaces propres dédiés uniquement aux personnes âgées dans le cas des EHPAD ou uniquement aux enfants pour les espaces de jeu par exemple. Cette idée qui consiste donc à isoler pour protéger, c’est vraiment une approche qui ne me paraît pas idéal.

Comment peut-on aujourd'hui penser ces lieux de manière plus ouverte sur la ville selon vous ?

Il existe de nombreux exemples de bonnes pratiques qui se développent aujourd'hui. J'ai notamment en tête une maison de retraite que l'on a pu visiter à Innsbruck en Autriche. Les couloirs y sont très larges et contiennent des sortes de micro-loggias dans des grandes fenêtres, qui servent à la fois de mini-bibliothèque mais aussi de salon urbain. Ils sont véritablement aménagés comme une extension des chambres et en conséquence, les personnes âgées sont beaucoup plus à l’extérieur. Elles interagissent beaucoup entre elles mais aussi avec les personnes qui passent dans le couloir.

Toujours dans cette institution, de grandes terrasses sur le toit ont été aménagées ainsi qu'un parc qui est entièrement ouvert sur l’espace public. Les résidents de la maison de retraite y ont accès tout comme n'importe quel autre habitant de la ville, ce qui contribue à ce que les personnes âgées gardent un véritable contact avec le vrai monde et non seulement avec leur famille.

Vous évoquiez plus tôt la perte d'autonomie des personnes. Comment lui redonner toute sa place en ville, y compris pour les publics fragiles ?

Dans mes travaux, je prône une approche de la «ville relationnelle». L'idée ici c'est plutôt de dire que plus on accorde de la place aux interactions et on favorise le lien social, plus on est heureux et on assiste à une réelle satisfaction à la fois chez les personnes âgées mais aussi chez les autres publics et ça, ça passe par l’autonomie.

Quand je dis autonomie, je pense à l’autonomie de mouvement, autrement dit le fait de laisser le corps bouger à sa vitesse et dans ses lignes de désir ; c’est aussi une autonomie d’orientation, autrement dit faire en sorte que la ville soit assez lisible, assez facile à comprendre aussi bien par une personne âgée ne disposant plus de toutes ses capacités cognitives que pour un jeune enfant.

C'est enfin le fait d'avoir une véritable inclusivité dans le rythme, et de permettre aussi aux personnes d'avoir une vitesse lente qui vient favoriser ce que j'appelle la «théorie du blabla». Autrement dit, le fait de pouvoir parler ensemble, de pouvoir être ensemble dans l'espace public avec des espaces de repos aménagés pour ce type de moment.

Justement, vous parlez d'espaces publics ouverts à tous en principe. Pourtant on le voit, les publics fragiles n'y sont pas toujours les bienvenus par manque de sécurité ou d'accessibilité par exemple. Comment peut-on aujourd'hui les imaginer dans une forme d'inclusivité pour tous ?

Dans l’espace public, si vous voulez vraiment favoriser une ville intergénérationnelle il faut vraiment faire primer les politiques de proximité et cette importance du «1er kilomètre». Il doit être agréable de s'y déplacer mais aussi confortable en matière de services que l'on peut y trouver : les commerces, les espaces verts, etc.

En parallèle, je pense qu'il est urgent d'amener les espaces de jeu ou les bandes ludiques plus près des cheminements. Il faut arrêter de créer des parcs de jeu hors du système urbain pour les replacer sur le chemin de l'école, sur le chemin du supermarché, etc. De cette manière, ces espaces deviennent des lieux de rencontre qui, selon l'heure de la journée deviennent plus calmes et permettent à d'autres publics de l'investir.

Les rues aux écoles récemment expérimentées dans certaines rues à Paris en sont un parfait exemple. Quand les enfants sont à l'école, ce sont les personnes âgées qui s'installent dans ces espaces, elles rencontrent alors les parents qui viennent chercher leurs enfants, l'usage de l'espace se transforme.

Dans cette même idée en Suisse, les mobiliers de jeu sont conçus à la fois pour que les enfants puissent s'en saisir mais également pour que les personnes âgées puissent y faire des exercices d'étirement ou d'équilibre. À l'avenir, je pense que tout le mobilier urbain doit être intergénérationnel pour devenir un standard.

Dans vos recherches, vous accordez également une grande importance à la rue. Comment celle-ci peut-elle favoriser le vivre-ensemble ?

La rue est vraiment l’ADN de la ville davantage encore que les places ou les parcs qui sont des exceptions dans le cheminement de la ville. C’est la brique standard de la ville qui peut gagner en qualité, être conçue de manière plus accueillante pour tous les âges et pour tous les chemins de vie et ainsi permettre de fortifier le liant social d'une société.

La rue est aussi un lieu très démocratique au sens de la biodiversité des publics qui s'y retrouvent, y compris des personnes qui ne l'ont pas choisie comme destination. Elle mélange le transit et le séjour et permet à des personnes qui sont ancrées dans des dynamiques de proximité, comme c’est généralement le cas pour les personnes âgées et les enfants, de croiser des gens qui sont ancrées sur de grandes distances.

Comment, d'après vous, peut-on dès lors favoriser la rencontre dans la rue entre ces différentes classes d'âges en ville qui ont, à priori, ni les mêmes besoins, ni les mêmes envies en termes d'activités ?

Je pense que la rencontre se trouve dans la transformation de rue en rue-parc ou en rue-place par exemple, pour lui apporter un caractère plus apaisé, pour lui donner un aspect plus agréable. Et les outils existent aujourd'hui : on sait faire des espaces de rencontre, des espaces ludiques aménagés. La mise en place de tels dispositifs dépend d'une volonté politique.

D'ailleurs, des villes entières ont été organisées de cette façon, je pense notamment à la ville de Pontevedra en Espagne, en Galicie. C'est une ville de 80 000 habitants qui a beaucoup travaillé pour les enfants à tel point qu'elle est surnommée la «Ciudad de los niños». Également, vous avez des villes comme celle de Copenhague qui ont beaucoup travaillé sur la ludification.

Aujourd’hui, on se tourne vers ce type de projets en mélangeant la ville ludique avec la ville comestible et nourricière en multipliant les lieux dédiés aux vergers urbains notamment. Ce sont de bonnes approches pour les enfants ou les personnes âgées qui aiment jardiner et encore une fois ce sont de simples aménagements qui fortifient le lien social par des activités qui sont naturelles pour ces classes d’âges et non artificiellement imposées.

Il y a enfin l'importance de la «dimension servicielle» de la ville qui doit pouvoir fournir à boire, à manger, des toilettes, etc. La ville est globalement encore assez hostile de ce point de vue là. Et il serait intéressant d'auditionner davantage les populations sur leurs besoins pour traiter avec attention les différentes classes d'âges.

Marie Crabié
En lien