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EntretienComment l'expérience sensible de la ville détermine notre appréciation de cette dernière ? À l'occasion de notre article «Belle», «moche» ou «bizarre»... Comment voit-on l'architecture de nos villes ?, nous avons posé la question à Emma Vilarem, docteure en neurosciences cognitives, spécialisée dans l'étude des interactions sociales.
Emma Vilarem, directrice de [S]CITY, docteure en neurosciences cognitives, spécialisée dans l’étude des interactions sociales
Emma Vilarem, directrice de [S]CITY, docteure en neurosciences cognitives, spécialisée dans l’étude des interactions sociales
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Docteure en neurosciences cognitives et spécialisée dans l’étude des interactions sociales, Emma Vilarem co-fonde l’agence [S]City, au croisement du monde des sciences du comportement et des questions relatives à la fabrique de la ville. L’objectif poursuivi : interroger l’expérience sensible de la ville pour mieux la construire. Entretien.

tema.archi : À l’origine de votre agence [S]City, il y a trois spécialistes des sciences du comportement, une architecte et une urbaniste. Pourquoi la rencontre de ces disciplines ? Que permet-elle ?

Emma Vilarem : L’agence est issue du constat du fait que l'on dispose, dans la littérature scientifique qui s'intéresse au cerveau et aux comportements, de nombreuses données qui ont tendance à être utilisées exclusivement par le monde scientifique.

Or, la façon dont on fabrique la ville peut bénéficier de ces données scientifiques et accompagner la prise de décision d’un projet. Concrètement, on se sert donc des connaissances et outils que l’on a pour faire en sorte que les futurs usagers soient intégrés au mieux dans la conception du projet urbain. Au même titre qu’un bureau d’études environnement, on est, selon les projets, considérés comme une «AMO zéro stress» ou une «AMO bien-être».

Dans quelle mesure nos sens jouent-ils un rôle dans notre appréciation d’un lieu ?

Dans les équipes dans lesquelles on intervient, on rappelle souvent que nos sens constituent notre interface entre l’environnement extérieur et le cerveau et c’est pour cette raison qu’il est important de s’intéresser à la dimension sensible de l’expérience des espaces.

La façon dont on perçoit notre environnement influence significativement la façon dont on l’occupe, la façon dont on va vivre et percevoir l’espace. On peut souvent se dire que la dimension sensible est individuelle et subjective mais si nos cerveaux sont tous différents dans une certaine mesure, ils ont aussi beaucoup de points communs. On peut ainsi utiliser des outils pour capturer cette dimension sensible et l’appliquer dans un projet.

Il existe une littérature scientifique qui détaille la sensibilité humaine à l’accès visuel au ciel par exemple, ou au fait d’apercevoir la hauteur d’un bâtiment dans une rue étroite, le fait de voir l’horizon, etc. Tout un tas de paramètres communs d’un individu à l’autre et que l’on peut intégrer aux projets. Notre objectif, c’est d’aider à réaliser certains arbitrages en faveur de l’humain autant que possible.

Quels sont les outils envisagés dans le cadre de vos missions pour analyser notre perception sensorielle de la ville ?

Tout dépend de notre cadre d’intervention. Par exemple, on peut intervenir sur un projet existant pour diagnostiquer l’expérience d’un individu. Dans ce cas, on va aller sur le terrain, constituer des questionnaires (mesure explicite) ou réaliser des tests cognitifs qui permettent de capturer un phénomène psychologique plus explicite comme des tests de mémoire ou d’attention.

Dans le cadre d’une intervention pré-conception ou de conception, il est plus difficile de diagnostiquer l’expérience dans un espace dont la conception est à venir. Dans ce cas, on apporte une connaissance à partir de données scientifiques connues pour comprendre et mesurer l’impact futur de l’environnement sur le bien-être des usagers.

On fait en sorte que les choix de conception soient éclairés par ces données scientifiques dans le cadre de recommandations opérationnelles en termes de trame, de vue, de plans etc. L’idée, c’est d’être dans la collaboration pour proposer un regard de plus, une expertise de terrain qui va à l’encontre de l’écueil du chercheur qui serait trop technique.

On intervient aussi bien auprès du promoteur, dans le groupement, pour définir les dimensions de confort et de santé mentale en amont du projet, que pour des collectivités plutôt sur des projets d’études au long cours ou encore dans un travail mené de concert avec les architectes qui pensent que c’est important de co-concevoir le projet.

Comment l’intérêt pour ces questions d’espaces ressentis évolue-t-il selon vous ?

Les appels à concertation et appels d’offres montrent que l’on s’intéresse de plus en plus au confort, à la santé, au vécu des espaces. Il reste que la réalité des choses, de notre fenêtre à nous, c’est qu’il existe encore un écart entre l’intérêt communiqué pour ces sujets dans les médias, dans les communications, dans les invitations aux webinaires et conférences et la réalité des projets.

Il y a un vrai travail à faire pour véritablement nous intégrer aux équipes de conception pour faire en sorte qu’on aille au-delà de la livraison d’une note, à savoir un avis mais qui n’est pas tellement dans la discussion, mais plutôt être dans la prise de décision vis-à-vis du projet.

On est convaincu que c’est par une approche qui intègre différentes disciplines qu’on réussira à monter des projets qui fonctionnent dans la durée, où les gens se sentent bien. Un logement qui est confortable, qui protège le bien-être et la santé, c’est un logement dont on prend plus soin, on aide les gens à se réaliser dans leur vie, s’ancrer dans un territoire et développer un attachement à ce dernier. On a tout à gagner à mieux prendre en compte les besoins humains.

Propos recueillis par Marie Crabié dans le cadre de l'article «Belle», «moche» ou «bizarre»... Comment voit-on l’architecture de nos villes ? paru sur tema.archi le 6 mai 2022.

La rédaction
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