«Le temps presse, l’alarme sonne de tous les côtés», intime déjà le Manifeste de la frugalité heureuse et créative dans ses premières lignes. Publié en janvier 2018 par l'ingénieur Alain Bornarel et les architectes Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec, le manifeste a, à ce jour, reçu pas moins de 9 500 signatures.
Son objectif ? «Ouvrir les chemins de la frugalité en architecture et urbanisme, alternatifs aux visions technicistes, productivistes, gaspilleuses en énergie et en ressources de toutes sortes», apprend-on sur le site dédié, pour tenter de faire face aux bouleversements climatiques, environnementaux, énergétiques et sociétaux à l'œuvre aujourd'hui.
Un modèle à bout de souffle
Une démarche dans le cadre de laquelle les secteurs du bâtiment et de la construction ont leur rôle à jouer, car comme le rappelait Philippe Madec à l'occasion de la conférence L'invention de l'architecture frugale organisée par le CAUE Nouvelle-Aquitaine, «leurs domaines d'action émettent au moins 40 % des gaz à effet de serre pour les bâtiments, et bien plus avec les déplacements induits par les choix urbanistiques, telle la forte préférence pour la construction neuve plutôt que la réhabilitation.» Selon l'architecte,
« Les professionnels du bâtiment et de l'aménagement du territoire ne peuvent se soustraire à leur responsabilité. »
Visuel issu du carnet n°2 : Les premières rencontres de la Frugalité Lens & Loos-en-Gohelle © Pierre-Yves Brunaud
Au-delà la remise en cause d'un modèle à bout de souffle qui «paralyse la transition écologique et sociétale», le Mouvement de la frugalité heureuse et créative invite ainsi à semer des «graines des possibles» à l'heure où réduire notre impact écologique devient plus urgent que jamais pour contenir les dérèglements globaux.
Semer des graines des possibles
Mais alors quelles sont-elles, ces graines des possibles ? Selon l'Atelier Aïno, agence d'architecture basée à Marseille qui porte une attention toute particulière aux matériaux, les circuits courts et l'implication des usagers dans ses projets, demain il faudra réparer et réutiliser plutôt que de détruire, «transformer les questions posées aux entreprises dans le but de résoudre les contraintes avec une économie de moyen qui limite les apports de matériaux et privilégie le temps passé à réparer», expliquent les quatre associés dans le cadre de leur contribution au forum Et demain, on fait quoi ? lancé par le Pavillon de l'Arsenal.
Elles appellent ainsi à la retenue de la forme architecturale, pour favoriser le dialogue avec toutes les parties prenantes au projet et renouer avec l'histoire des sites pour «concevoir des lieux «appropriables», vivants, uniques, non standards».
Un point de vue également partagé par l'architecte Antoine Renaud pour qui, «la revitalisation des actifs immobiliers n’est pas antinomique, bien au contraire, avec la notion de (re)création de valeur. Plus encore que la simple mise à jour d’un patrimoine en voie d’obsolescence, la démarche de réhabilitation permet d’envisager d’accroître le potentiel de l’existant par différents moyens, à adapter finement en fonction de chaque situation.»
Agir en collectif
«La difficulté est dans l’action : on y est toujours trop seul, constate Philippe Madec qui rappelle, nous bâtisseurs engagés de longue date, ensemble depuis plus de deux ans dans le Mouvement de la frugalité heureuse et créative, soutenue par la société civile, n’avons pas attendu le Covid-19 pour nous réunir, partager nos solutions et bâtir pour l’avenir.»
Architects Declare : des architectes français se mobilisent face à l’urgence climatique https://t.co/AEwl0aRPUX
— Conseil national de l'Ordre des architectes (@Architectes_org) November 6, 2019
Porteur de nombreuses solutions architecturales et techniques de construction vertueuses, le Mouvement de la frugalité heureuse et créative appelle ainsi à une prise de conscience collective à travers l'organisation de rencontres — les premières avaient lieu à Loos-en-Gohelle en mai 2019 et faisait l'objet d'une première restitution parue un an plus tard — et la rédaction de pistes d'action concrète à destination de professionnels et élus politiques.
Réformer nos métiers
Un peu partout en France et dans le monde, de telles prises de position d'architectes et designers se sont multipliés ces dernières années en réaction à l'amer constat d'un modèle économique, écologique et social épuisé. Ils en viennent ainsi à interroger les fondements même de leurs métiers à l'instar du texte architectsdeclare — qui faisait suite à une première déclaration en juin 2019 de 17 architectes renommés du Royaume-Uni puis de toute l'Europe — qui incite les 480 agences d'architectures françaises signataires à se mobiliser face à l’urgence climatique et écologique par un engagement «à renforcer [leurs] pratiques de travail afin de créer une architecture et un urbanisme ayant un impact plus positif sur le monde qui nous entoure». Les rédacteurs du texte estiment ainsi :
«Répondre aux besoins de notre société sans dépasser les frontières écologiques de la planète exige un changement de paradigme dans notre comportement.»
Une dynamique analogue semble enfin se dessiner dans le secteur du design alors qu'en avril dernier, le Mouvement Les Rad!cales — formé en janvier 2020 – lançait son manifeste pour «interroger et réformer nos métiers, les choix politiques et les mécanismes économiques de notre société».
En ligne de mire, on y retrouve des revendications semblables à celles des architectes et fédératrices de toute la profession : «Par le design, nous devons à la fois trouver les mots pour incarner ces imaginaires [de nouveaux récits, de dépasser la mystification libérale disant qu’aucune alternative n’est possible] et mobiliser notre capacité historique de rendre claires et séduisantes de nouvelles formes et pratiques, qui ne doivent plus seulement combattre le réchauffement climatique mais surtout permettre de s'y adapter.»