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#JNArchiMal-aimée, mal comprise : l'architecture du XXe siècle soulève de nombreux questionnements quant à sa portée, sa réception et sa compréhension. À l'occasion des Journées Nationales de l'Architecture qui auront lieu les 18,19 et 20 octobre 2019, retour sur une période à la croisée des techniques de construction, matériaux et styles architecturaux.
La façade du théâtre des Champs Elysées © Jean-Pierre Dalbéra (CC BY 2.0)
La façade du théâtre des Champs Elysées © Jean-Pierre Dalbéra (CC BY 2.0)
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Entre patrimoine et architecture contemporaine, quelle valeur accorder aux ouvrages du XXe siècle ? Le débat était remis sur la table au lendemain des Journées Européennes du Patrimoine, alors que le ministre de la culture Franck Riester rejetait le projet de rénovation de la Maison du Peuple de Clichy prévu depuis des mois.

En cause, la construction d'une tour de 99 mètres signée Rudy Ricciotti à l'arrière du bâtiment qui, selon les mots du ministre « dénaturerait » cet édifice conçu en 1939 par Eugène Baudouin, Marcel Lods et Jean Prouvé. « C’est comme si les bâtiments du XXe siècle étaient une matière que l’on peut modifier à sa guise » commentait le vice-président de Sites et Monuments Julien Lacaze, regrettant le peu de cas fait de l’architecture du siècle dernier.

L’architecture du XXe dans l’imaginaire collectif

« Dans l’imaginaire collectif, il existe un côté répulsif de l’architecture moderne » confirme le sociologue de l’habitat Guy Tapie, auteur de l’étude La Culture architecturale des Français parue en 2018 et de poursuivre « ce bâti est victime d’une stigmatisation parce qu’il est souvent rattaché aux grands ensembles au détriment d’une production architecturale plus diverse à laquelle on ne pense pas ».

Tours Aillaud / Cité Pablo Picasso à Paris © Guilhem Vellut (CC BY 2.0)

Derrière ces bâtiments de hauteur, majoritairement construits en béton, c’est une véritable transformation du territoire nationale qui s’opère dès la période de reconstruction à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les 30 Glorieuses. « Même si les formes architecturales nouvelles étonnent la population, c’est bien plus la transformation radicale des espaces urbains qui contribue à crisper l’opinion publique » précise Guy Tapie, « elle n’a pas toujours été bien vécue par les habitants ».

Renouveler notre regard

Victime d’un manque de recul et mal comprise, l’architecture du XXe siècle souffrirait-elle de sa contemporanéité ? À l'occasion d'une interview accordée à l'Express en 2000 à la suite de la sortie de son ouvrage Le patrimoine du XXe siècle, l'archéologue et historien de l'architecture Bernard Toulier affirmait :

“Il faut un décalage d’une ou deux générations pour renouveler notre regard.”

Un décalage en effet nécessaire pour Guy Tapie, et qui doit permettre à l’opinion publique d’assimiler un certain nombre de formes architecturales à une fonction sociale.

Le collège Pierre Semard de Bobigny, dont la destruction était évoqué en 2015 - Arch. Iwona Buczkowska - Photo via Google Street View

« Prenons l’exemple des écoles des années 1980, elles changent radicalement d’aspect en comparaison aux modèles des années 50 » raconte le sociologue, « dans les premiers temps, les nouvelles réalisations ne correspondent pas à la typologie scolaire acquise jusqu’à lors » et de conclure :

« Il faut du temps pour que les gens s’approprient l’architecture et lui attribue un rôle social. »

Un bâti témoin d’une époque

Du temps, il en faut aussi pour reconnaître la valeur architecturale d’un bâti et de le considérer non pas comme figé dans le temps, mais témoin d’une époque avec ses techniques de construction, ses matériaux et ses usages.

Sous la houlette d’André Malraux, les premières politiques publiques de reconnaissance de l’architecture du siècle sont lancées en 1957, à l’occasion du premier classement au titre des monuments historiques d’un ouvrage du XXe siècle : le théâtre des Champs-Elysées des Frères Perret qui était livré en 1913.

Mais à défaut d’une définition claire des critères de classement du bâti moderne, ces mesures s’essoufflent rapidement pour se focaliser sur l’architecture plus ancienne, déjà ancrée dans les esprits comme constituant un patrimoine nationale qu’il faut protéger. Guy Tapie explique :

« Les politiques de protection patrimoniale, très actives jusque dans les années 70 font passer l’intérêt de l’architecture moderne largement sous silence. Je crois que ça a eu un impact sur le grand public dans la diffusion des connaissances entourant ce bâti. »

Une prise de conscience progressive

Si cette période d'architecture est à l’origine peu évoquée dans les manuels scolaires ou les manifestations culturelles, la progressive prise de conscience politique de la valeur de cet héritage contemporain intervient dès les années 80 sur impulsion de Jack Lang. Elle s’accompagne d’actions concrètes de médiation et de protection de certains ouvrages "en danger" au regard de leur transformation ou de leur dégradation.

Vue de la Maison du Peuple, à Clichy © CC BY-SA 4.0

C’est d’ailleurs le cas de la Maison du Peuple de Clichy, qui doit, selon le ministre de la culture en 1981, « être à tout prix sauvegardée » contre la mise en place d’un projet de rénovation de l’édifice prévu par la mairie. Il faudra toutefois attendre 1999 pour que soit créé le label « Patrimoine du XXe siècle », première distinction de « réalisations architecturales et urbanistiques remarquables appartenant au patrimoine culturel du XXe siècle ».

Mieux comprendre l’architecture du XXe siècle

Devenu depuis « Architecture contemporaine remarquable », le dispositif ne constitue pas une protection du bâti mais plutôt un moyen d’attirer l’attention, d’identifier et de faire connaître au public la valeur de l’architecture du XXe siècle par le biais d’événements, de publications ou encore l’apposition d’une plaque informative sur l’édifice.

« Ce type d’action politique permet d’enraciner un apprentissage de l’architecture autre que le seul patrimoine ancien, dont les références nous sont communes » soutient Guy Tapie. Il poursuit :

« ce qui fait patrimoine est mouvant, c’est avant tout ce que la société va légitimer comme faisant partie de son cadre de vie qu’il faut conserver et dont il faut diffuser la connaissance. »

Colloques en régions, visites, séminaires et conférences sont autant d’événements qui aujourd’hui agissent en faveur d’une mise en valeur de l’architecture, ancienne et contemporaine, qui nous entoure. « Ce travail de traduction et de diffusion est nécessaire » selon Guy Tapie, « pour que la société soit amenée à regarder autrement, les transformations des territoires à l’œuvre. »

Cet article est rédigé à l'occasion des Journées Nationales de l'Architecture dont tema.archi est partenaire média. Rendez-vous les 18, 19 et 20 octobre dans toute la France !

Marie Crabié