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MagazineEn près d'un siècle et demi, le tourisme de montagne et la démocratisation des sports d'hiver ont transformé les paysages aux abords de nos cimes enneigées. Des premiers chalets en bois au paquebot des neiges, retour en plusieurs étapes sur l'architecture de nos stations de ski.
Les 2 Alpes © Toa Heftiba
Les 2 Alpes © Toa Heftiba
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Respirer l'air frais de la montagne, profiter d'une vue à couper le souffle et de longues marches silencieuses sans pour autant dévaler les pentes «tout schuss», c'est ce que suggère Le Monde en novembre dernier dans son article À quoi bon partir à la neige quand on déteste le ski ? À cette drôle d'interrogation, les réponses sont pourtant nombreuses affirme le quotidien : «Les stations ne s’y sont pas trompées et proposent de plus en plus d’alternatives au ski».

Au-delà du snowboard de la traditionnelle descente en luge, le quotidien suggère ainsi la pratique de la bouée sur neige, du yoga froid, de l’«ice floating» — qui consiste à s'immerger et se laisser flotter dans un trou creusé dans la glace ou encore — pour les moins aventuriers mais non moins curieux d’entre nous — des visites architecturales de stations.

C’est le cas aux Arcs, en Savoie, dont l'architecture tout en bois est l'œuvre de Charlotte Perriand ou encore à Flaine, station haute-savoyarde, qui après avoir déchaîné les passions pour la forme de ses bâtiments, bénéficie désormais de «l'arrivée de nouvelles générations de skieurs voyageurs, imprégnés de notions d'architecture, y compris brutaliste, et de références design», avance L'Express dans un article paru en 2017.

“Certains viennent à Flaine, non plus — seulement — pour skier mais bien pour découvrir l'utopie réalisée de Marcel Breuer, labellisée Patrimoine du XXe siècle. Comme si la station avait digéré son intimidant héritage pour récolter les flocons d'un avant-gardisme désormais assumé.”

À Flaine, béton brut et intégration dans le paysage

L'architecture de Flaine est en effet pensée en rupture dès le départ par un couple de français, les Boissonnas, qui confient au grand architecte américano-hongrois Marcel Breuer le soin de «participer à l'aménagement du territoire en montagne» en pensant la station de Flaine de A à Z.

En pleine période de reconstruction du territoire, Marcel Breuer imagine alors une «ville où tout est à portée de main», raconte le magazine en ligne Ideat et dont l'architecture s'intègrerait dans le paysage.

“Pas de câbles disgracieux qui détournent le regard ; ici, tout est enterré dans des galeries techniques. Optant pour du béton brut, Breuer a conçu des façades, toutes orientées au sud, en pointe de diamant afin que le soleil les habille de jeux d’ombres et de lumière au fil de la journée.”

Le plus emblématique de l'ensemble demeure l'ex-hôtel Le Flaine, premier bâtiment livré sur le site et aujourd’hui classé à l’inventaire des monuments historiques. Ce cube de béton brut surplombe la falaise, «ses lignes droites, ses balcons suspendus et son aspect fonctionnel inscrivent le bâtiment dans la lignée du Bauhaus.»

Quelle serait la station de ski parfaite ?

Flaine n'est pourtant pas la seule à voir ses paysages se transformer. Au début des années 1960, plusieurs «Plans neiges» qui consistent en des séries de politiques publiques, sont lancés pour créer et aménager des stations de sports d'hiver de haute montagne. Avoriaz, Tignes, Les Menuires, La Plagne ou encore Les Arcs en sont issues, avec des parti-pris architecturaux qui diffèrent largement d’un lieu de villégiature à l’autre.

Aux Arcs, l’architecte et designer Charlotte Perriand concrétise ainsi son projet de «station de ski parfaite» déjà esquissé dans les années 1930, détaille Ideat. Ce projet «gravirait la pente pour former un ensemble où chaque étage aurait une vue sur l’horizon», précise l'architecte.

En plus d’y bannir la voiture — ce qui constitue une révolution à l’heure du développement de l’industrie automobile, elle y prône aussi l’intégration «architecture-équipement-environnement, mettant en valeur une volumétrie intérieure faite d’harmonie, en rapport avec le paysage de la montagne, toujours présente, superbe.»

Une architecture trop urbaine en montagne

D'autres architectes font le choix de s'éloigner du paysage pour faire prévaloir des constructions modernes et fonctionnelles capables d’accueillir un maximum de vacanciers alors que les sports d'hiver se démocratisent progressivement.

Les Menuires constitue ainsi l’une des pionnières en la matière, et propose dès les premiers ouvrages sortis de terre en 1964, une architecture monumentale qui tranche avec l’habitat traditionnel de montagne. Dès sa livraison en 1972, l’immeuble Brelin, une «barre imposante et linéaire» et souvent considéré comme «trop urbain» en devient l’emblème.

Quartier à lui tout seul, il comprend alors 640 logements et des services et commerces de proximité dans ses étages inférieurs. «Ses formes longilignes lui donnent l’allure d’un vaisseau ancré dans la pente, un véritable “paquebot des neiges’’ qui renvoie aussi à l’image des anciens sanatoriums installés aux endroits les plus ensoleillés.», appuie l'application mobile spécialisée dans la découverte du patrimoine franco-suisse traverse-patrimoines. «Chaque "nouveau" quartier de la station porte en lui le témoignage de la mode architecturale de l’époque où il a été construit», continue encore le site Alpes Ski Resa.

Il en est un autre de paquebot des neiges qui fait des remous à cette période, celui de Plagne Aime 2000 de l’architecte Michel Bezançon. Livré en 1968, l’immeuble est décrié pour son esthétique «massive et brutale». Et pour cause : il se déploie sur une superficie réduite de 220 mètres sur 40 à 50 mètres de large et accueille près de 2500 lits.

Dans un article publié en janvier 2021, AD y décèle pourtant une architecture «emblématique de la troisième génération de stations de ski, celles construites à partir des années 1960 et qui sont le lieu d'expérimentations architecturales et d’urbanisme innovant.»

Mais à peine une décennie plus tard, la commande publique change et s’inscrit en rupture avec le développement de constructions souvent décrites comme «trop urbaines» pour l’environnement dans lequel elles s’insèrent. Dernière-née du «Plan neige», c’est le cas de Valmorel pensée comme une «station-village» et dont l'esthétique est proche de l'architecture traditionnelle de montagne.

Michel Bezançon, qui orchestre le projet, propose ainsi des logements qui s'apparentent aux chalets savoyards que l’on retrouve dans les premières stations de ski, progressivement construites depuis la fin du XIXe siècle en extension des villages existants.

En montagne, un retour progressif aux sources

Cette «architecture des premières heures du tourisme aux accents belle époque», selon le magazine Loisirs et Art de Vivre dans les Alpes, Alti mag, c'est aussi celle de plusieurs lieux de villégiatures célèbres à l'instar de La Clusaz, Megève, Chamonix ou encore Les 2 Alpes — ces deux dernières étant historiquement les plus anciennes de France. Une architecture traditionnelle de pierre y côtoie ainsi des formes architecturales plus modernes au fil des agrandissements des villages.

Mais le véritable tournant s’amorce à la toute fin de la guerre lorsque les stations se développent progressivement en site vierge, rompant ainsi avec l'architecture montagnarde traditionnelle. Courchevel est la première de toutes, pensée par les architectes Denys Pradelle et Laurent Chapis de 1939 à 1946 à partir de toits monopentes pour fondre les bâtiments dans le paysage.

Un choix radicalement opposé à la construction, quelques années plus tard, de l’Alpe d’Huez ou Chamrousse. «On a construit n'importe quoi n'importe comment» donnant lieu à «des stations de ski sans âme et sans unité», s’offusque le journaliste Claude Francillon dans un reportage réalisé en 1974 et partagé par l'INA.

Vue générale hivernale de l'Alpe d'Huez ; la vallée de la Romanche est sous une mer de nuages © Gilles Perréal (CC BY-SA 3.0)

Alors que le XXe siècle a vu fleurir plus de 350 stations de ski en France, où en est-on aujourd’hui ? S’inscrivant en rupture avec le siècle précédent, il semblerait que les architectes «s’adaptent [désormais] aux spécificités locales, entre souci de l'environnement et cohérence avec le bâti existant», rapportait Les Échos en novembre 2020.

“ll faut dire que, face à un parc vieillissant, des changements climatiques galopants, les architectes ont intérêt à revoir leur copie. L'occasion pour ces professionnels de mieux intégrer le bâti au paysage et aux contraintes locales.’’

Aménagements doux, volonté de mise en place d’un tourisme quatre saisons, rénovations du parc existant et nouvelles liaisons entre sommets sont autant de projets dans les cartons pour la décennie à venir. Alti mag rappelle toutefois qu'une interrogation demeure sur la viabilité des stations alors que les «effets du réchauffement climatique» pourraient menacer 45 à 75 d'entre elles d’ici à 2030.

Marie Crabié
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