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ProfessionAlors qu'une nouvelle génération d'architectes «en phase avec l'air du temps» se voit célébrée dans la presse au rythme des récentes distinctions, nous nous sommes interrogés sur ce qu'elles traduisent de l'évolution de la discipline et des attentes vis-à-vis de cette dernière en France. Revue de presse.
© climate reality
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Le 24 novembre dernier, les «jeunes professionnels déjà reconnus pour leur attention à tous les territoires» de l’Atelier PNG se voyaient remettre le prix de l’Équerre d’argent 2021 pour un ensemble d'équipements publics livré à Neuvecelle en Haute-Savoie.

L’opération, composée d’un gymnase, d’une bibliothèque, d’écoles, de bureaux et d’un parking séduit tout à la fois pour son «inscription réussie dans le territoire et le bâti existant» — à en croire Libération, que pour «les moyens modiques dont s’est accommodée la maîtrise d’ouvrage public» et l’importance de ce type de «lieu du commun qui fait défaut aujourd’hui», appuie Le Monde.

«C'est la “capacité à offrir de l'extraordinaire dans des lieux de l'ordinaire, à bâtir la magie d'un espace’’ qui a convaincu les membres du jury», rapporte encore la journaliste Margaux Darrieus qui révèle «les dessous du palmarès» pour AMC et souligne la justesse de l’intervention «pour produire une architecture utile.»

Récompenser des bâtiments utiles

Utile, le prix de la Première Œuvre l’est lui aussi. Remis à un ensemble d’ateliers d’artistes et de logements réalisé en auto-construction, il témoigne de l’intérêt porté par le jury à la collaboration et au «faire ensemble pour fabriquer du social. Le tout, magnifié par une architecture de peu, extrêmement maîtrisée», détaille AMC.

«Nous avons été sidérés par la maturité de ces jeunes, par cette génération exceptionnelle capable d'inventer les programmes, de susciter les commandes, en exprimant un regard sur l’époque, réagissait alors l’architecte et président du jury Christian de Portzamparc. Ce positionnement témoigne d’une manière spécifique d’être au monde, qui pose l'architecte comme l'un des acteurs les plus importants, les plus centraux de l'évolution de notre société.»

Ce que nous attendons de l'architecture en France

Progressivement, cette génération «en phase avec l’air du temps» trouve ainsi sa place dans les récompenses d’architecture, y compris dans le cadre d’initiatives relativement récentes qui tendent à bousculer les lignes et interrogent nos attentes vis-à-vis de l’architecture en France. En septembre 2020, Le Monde titre «Simon Teyssou, lauréat du Prix d’architectures». Avec ce «nouveau rendez-vous» lancé par la revue d’A, Emmanuel Caille son rédacteur en chef entend distinguer non pas «le meilleur projet» mais «le plus emblématique de ce que nous attendons de l’architecture en France.» Il s'en explique :

«Le travail de Simon Teyssou, ce sont des petites choses qui sont difficiles à publier, qu’on ne verra jamais dans des revues papier glacé, mais qui font que les paysages acculturés de la France d’aujourd’hui finissent par ressembler à quelque chose.»

Sa vision de l'architecture et son rapport au territoire, l’architecte Simon Teyssou installé au Rouget-Pers dans le Cantal, la détaille longuement dans le cadre du podcast Hors concours. Il y raconte précisément la difficulté de ne pas tomber dans «des sortes de logiques propices à des situations urbaines et justifiées, où le milieu dicte des aménagements plus sophistiqués et adaptés à une intensité d'usage» qui n’a rien à voir avec les milieux ruraux où il exerce. «Je me pose la question du caractère, comment trouver une justesse d’intervention, une simplicité qui quelque part prolonge l’histoire presque millénaire de ces territoires. C’est-à-dire par des aménagements vernaculaires, d’une très grande simplicité. J’essaye de prolonger ce registre là.»

D'autres récompenses semblent elles aussi aller dans ce sens, à l'instar de la médaille d’Or de l'Académie d'Architecture décernée en 2021 à Marina Tabassum pour ses «réalisations vernaculaires et sophistiquées [dont la] valeur universelle [est] en phase avec les problématiques environnementales et sociales actuelles», estime le jury.

À l'échelle plus locale, le Prix de l'architecture Occitanie 2021 fait mouche alors qu'il est remis à «un quatuor de réalisations architecturales marquées par leur caractère modeste mais ingénieux, voire malin», selon les mots employés par La Dépêche, poussant la rédaction à s'interroger : «Hasard ou volonté de trancher avec l'habituelle grandiloquence des prix architecturaux récompensant des projets pharaoniques ?»

Un renouvellement des manières d'être architecte

Pour la journaliste et enseignante Cyrille Véran, on observe actuellement un «mouvement profond de renouvellement des manières d'être architecte, engagé depuis plusieurs années». C'est ce dont témoignent plus spécifiquement les lauréats des Albums des Jeunes Architectes et paysagistes (Ajap) 2020, décernés au printemps 2020 puis exposés à la Cité de l'architecture et du patrimoine à Paris. «L'occasion de comprendre le métier qui vient, et l'architecture de demain, commente AMC comme une manière «de prendre le pouls du monde de l'architecture.»

Commissaire de l'événement, Cyrille Véran revient à cette occasion sur la posture des agences récompensées :

«Les lauréats 2020 des Ajap valorisent la sobriété des actions et la cohérence entre engagements citoyens et professionnels.»

Préoccupés par l'environnement, l'économie des ressources et la transformation de l'existant, «ils développent une culture écologique dans sa version holistique, poursuit-elle, qui enjoint à de nouvelles manières de faire qui portent attention et soin aux territoires et aux espaces du quotidien.»

L'invisibilité médiatique des femmes

Ce dont il a cependant été un peu moins question dans la presse récemment, c'est la représentativité de la profession véhiculée par ces récompenses, alors que les commentaires sur les réseaux sociaux eux, se multiplient. Dans son article «Où sont les femmes architectes ?», Metropolitiques.eu pose la délicate question de leur place dans une récompense comme celle des Ajap, où figurent seulement deux équipes mixtes parmi les 15 lauréates dans la catégorie architecture. La journaliste Alice Delaleu réagit elle aussi et questionne, pour Chroniques d'architecture, «l’héritage de la profession d’architecte, sa structuration, son fonctionnement et l’image inconsciente et collective qu’elle projette.»

Selon AMC, le constat est sans appel : «Alors que les femmes représentent désormais près d'un tiers des inscrits à l'Ordre [des architectes], la reconnaissance de leur place dans l'architecture reste un long chemin. Malgré les nombreuses professionnelles associées à la direction d'agences de toutes envergures, dont les travaux nourrissent les pages des revues, leur invisibilité médiatique perdure

Sous-représentées à la tête des agences comme le révèle la dernière enquête Archigraphie (dont les chiffres datent de 2019), elles sont également peu nombreuses à candidater aux prix qui structurent la profession, à en croire les informations récoltées et communiqués par AMC pour les prix de la Première Œuvre et celui de l'Équerre d'argent. «En 2021, sur les 49 projets proposés par 48 agences candidates au prix, nous avons compté 62,6% d’équipes exclusivement masculines, 31,2% d’équipes mixtes et 6,2% d’équipes exclusivement féminines», corrobore la revue.

Dès lors, comment établir une forme d'égalité et de parité dans la profession et ses représentations ? Au printemps dernier, l'architecte Nicolas-Dorval Bory entreprend de répondre à cette épineuse question en proposant la mise en place de mesures de discriminations positives dans différentes institutions qui promeuvent le métier d'architecte et son enseignement.

«Il est clair que nous faisons un métier compliqué, passionnant mais difficile, exaltant mais concurrentiel, alors chaque coup de pouce est le bienvenu, défend-il. Mais ne relève-t-il pas justement de la responsabilité de ces coups de pouce d'aider le monde à devenir un peu plus juste ?» Moins sur la forme que sur le fond, le collectif Architoo abonde en ce sens : «Il est urgent de susciter les candidatures féminines et d’agir afin de faire évoluer la représentation de la place des femmes et des hommes dans l’architecture, au bénéfice de tous et toutes !»

Marie Crabié
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