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Vie au bureauLe mythe de la disparition du bureau va bon train depuis mars 2020. Entre télétravail et multiplication des espaces de cotravail, le bureau est-il pour autant menacé ? Architectes et spécialistes d’aménagement d’espaces de travail nous éclairent.
Bureau vidé de ses salariés © Kate Sade
Bureau vidé de ses salariés © Kate Sade
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8 mai 1971. L’open space apparaît pour la première fois dans le quotidien national Le Monde. Plus exactement, la journaliste Michèle Champenois parle, à cette époque, de «bureaux-paysages». Une formule empreinte d’une certaine poésie dont elle s’amuse, au regard du concept qu’il désigne : un ensemble de bureaux non cloisonnés où l’on s’entend (beaucoup), on se voit (voire se scrute) et on se parle (peu).

49 ans plus tard jour pour jour et à la veille du premier déconfinement instauré en France, le publicitaire Jacques Séguéla «tire les leçons de la crise sanitaire traversée pour les entreprises» et présage, dans la foulée, la disparition de l’open-space le 11 mai 2020 à 9h. «On constate que les gens veulent rester chez eux. Ils disent: “pourquoi sortir alors que je suis si bien chez moi?“», assure le publicitaire dans une interview accordée à l’hebdomadaire économique Challenges.

Un constat dont ne fait pas état l’architecte Alexandra Villegas, qui à travers les projets qu’elle mène au sein de l’agence Studios Architecture, observe au contraire qu’après plus de dix mois de télétravail les «équipes fatiguent».

Quand les équipes fatiguent

Porosité entre la vie personnelle et professionnelle, risque d’isolement, environnement de travail non adapté ou encore liens d’équipes distendus, le 100% télétravail comporte en effet son lot d’inconvénients que les Français n’ont pas manqué de relever au cours de l’année 2020.

À en croire une enquête réalisée par l’entreprise de sondages Harris Interactive du 4 au 8 novembre dernier pour le ministère du Travail, 58% des salariés interrogés en situation de «100% télétravail», auraient préféré pouvoir se rendre à leur bureau au moins un jour par semaine tandis que 4 salariés sur 10 déclaraient se sentir isolés.

Cabine Work with Island, insonorisée pour openspace © Work with Island

«Au printemps dernier, la question des environnements de travail ne s’est pas posée tout de suite, se remémore Pascal Riggi, directeur exécutif au sein du cabinet de conseil spécialiste de l’aménagement des espaces de travail CDB. On a d’abord pensé que le bureau était fini et on s’est questionné sur l’avenir des bureaux vides par exemple. Pourtant, même si la crise est amenée à durer, on se rend bien compte aujourd’hui que l’on a besoin d’espaces de travail pour toute l’organisation sociale qui s’y crée.»

Nouvel espace-temps-travail

L’organisation sociale — et physique — de son entreprise, Emma n’a jamais eu le loisir de la découvrir. Embauchée en pleine période de confinement, elle reçoit son matériel de travail chez elle et n’a depuis, jamais rencontré toute son équipe en chair et en os. «Ça donne la sensation étrange de connaitre les gens, sans véritablement les connaître», confie-t-elle. Une situation atténuée par les visioconférences à répétition mais qui, à la longue, la jeune femme le concède, s’avère cocasse :

“Le fait d’être toujours devant l’ordinateur depuis chez soi rend bien plus difficile la séparation entre vie personnelle et professionnelle et ça commence à peser sur le moral.”

Face à l’inconfort de la situation, nombre d’entreprises envisagent, dans les mois à venir, la mise en place d’une organisation plus flexible du travail pour leurs salariés. «C’est une tendance de fond que la crise sanitaire a globalement accéléré», assure Alexandra Villegas. «Ce que l’on voit globalement se dessiner avec nos clients, c’est une organisation des équipes avec 1 à 2 jours de télétravail par semaine et le reste du temps au bureau», explique-t-elle.

Mais que vient-on désormais faire au bureau que l’on ne faisait pas déjà en télétravail, si ce n’est d’occuper un poste ? «Les salariés se déplacent sur leur lieu de travail pour le lien social, la culture d’entreprise. On vient pour collaborer, se voir et travailler en équipe», appuie l’architecte.

Configurer des espaces plus flexibles

Qui dit travail en collaboration dit espaces de réunion qui pourraient bien voir leur configuration évoluer sur le long terme. Loin de la grande salle formelle où se réunissent habituellement les collaborateurs, Alexandra Villegas considère nécessaire le décloisonnement des espaces de travail pour développer des solutions adaptées aux tâches collaboratives dans des formes plus flexibles à l’instar de «box» de visio-conférence ou d’appel, salles de réunions de diverses tailles, espaces de restauration conviviaux, gradins, etc.

Une organisation finalement aux antipodes de la vision «très fonctionnelle et hiérarchique» du bureau qui dominait il y a quelques années reprend Pascal Riggi, laissant ainsi progressivement place à «des environnements plus hybrides et des organisations plus humaines qui permettent de répondre de manière très concrète aux besoins des entreprises.»

«Espaces de coworking» à Deskopolitan Voltaire, Paris © Deskopolitan

Pour Alexis Rebiffé, co-fondateur du «réseau d’espaces de coworking» Deskopolitan, la crise a révolutionné les modes de travail et a notamment permis de mettre en place, en trois mois, ce «qui aurait pris 10 ans en temps normal» assure-t-il. «Ces nouveaux modes d’organisation du travail sont bénéfiques pour nous, qui sommes opérateurs de co-working sur du moyen terme,estime l’entrepreneur qui se veut toutefois prudent pour la suite, comme on a pu le voir entre les deux confinements, le naturel revient souvent au galop.»

L’open space est-il vraiment mort ?

Révolution, bouleversement, transformation de nos villes et de nos logements… l’année 2020 a battu en brèche nombre de nos certitudes en termes d’aménagement d’espace. La résilience et la flexibilité, concepts qui se trouvaient déjà dans les cartons pour faire face aux évolutions sociétales nées notamment des bouleversements climatiques, sont alors apparus comme une solution d’avenir en termes cette fois-ci, d’organisation du travail.

Le flex-office, littéralement «bureau flexible» en français, constitue l’une de ses expressions concrètes qui consiste en l’absence d’attribution d’un poste de travail précis à un salarié. Il devient dès lors «nomade» aussi bien dans les locaux de son entreprise qu’en extérieur — dans un espace de cotravail, en télétravail, etc. «La mise en place du flex-office nécessite d’étudier le taux de présence des uns et des autres à chaque poste, précise Pascal Riggi, il peut rapidement permettre de créer du mètre carré pour de nouveaux usages et services, de fluidifier les circulations, d’optimiser les plateaux sans pour autant agrandir les espaces de travail.»

L’Arboretum à Nanterre bâtiment témoin, salon © WO2 Salem Mostefaoui

Qu’il séduise ou interroge les dirigeants et collaborateurs, ce «nouveau concept» d’organisation salariale reste pourtant relativement proche de l’open-space traditionnel rappelle l’enseignant chercheur en sciences de gestion et expert en résilience des organisations Gilles Teneau. Interrogé par Welcome To the Jungle, il réagissait à l’affirmation du publicitaire Jacques Séguéla à la veille du déconfinement du printemps — sa prédiction de la mort de l’open-space dans l’hebdomadaire Challenges — et considérait «malhonnête de dire que l’open-space [serait amené à] disparaître» tant il a évolué vers plus de confort pour les salariés ces dernières années.

«Le vrai problème ce n’est pas l’open-space, mais l’organisation de l’entreprise, appuie-t-il. Si une entreprise est bienveillante, elle peut l’être avec un aménagement en bureaux ouverts ou fermés.» Toujours est-il qu’en 2017, le Baromètre Actineo relevait que 57 % des actifs français affirmaient préférer travailler «sur un poste de travail attribué dans un bureau individuel fermé.»

Un cadre de travail agréable

Au-delà du seul aménagement des bureaux, des réflexions sur l’environnement même du bâtiment émergent progressivement. Alors qu’à La Défense en Haut-de-Seine, le quotidien Marianne faisait état en novembre dernier, d’un «quartier totalement mort», la question de la viabilité d’un tel modèle urbain se pose.

«Les gens veulent désormais profiter d’un cadre de travail agréable, être en contact avec la nature, avoir des espaces extérieurs accessibles», assure l’architecte Dimitri Roussel de l’agence DREAM à l’occasion de la à Nanterre, dont la livraison est prévue à l’horizon 2022. Imaginé en collaboration avec Nicolas Laisné et François Leclerq Associés, ce campus entièrement conçu en bois sur près de 9 hectares se veut le reflet d’un «nouvel urbanisme du travail», soutient François Leclerq.

L'Arboretum à Nanterre bâtiment témoin, terrasse © Salem Mostefaoui, WO2

Comme un pied de nez aux tours du quartier d’affaires de La Défense dont on aperçoit les silhouettes depuis Nanterre, le campus Arboretum fait la part belle à l’horizontalité de l’architecture, arboré d’un parc qui favorise l’ouverture des espaces de travail sur la nature autant que sur la ville. Non seulement lieu de travail, l’Arboretum pourrait aussi devenir un lieu de vie à en croire ses architectes.

«Nous souhaitons que l’Arboretum soit ouvert à tous les habitants du quartier, qu’ils puissent profiter de tous ses services (ndlr : restaurant, équipements sportifs, etc) et de son parc», explique Dimitri Roussel. «L’objectif aujourd’hui c’est de créer des lieux pour créer du lien quelque peu distendu ces derniers mois, parachève Pascal Riggi, et c’est ce lien fondamental pour l’entreprise qui me fait dire que le bureau n’est pas prêt de disparaître.»

Cet article, rédigé par la rédaction de tema.archi, a été initialement publié le 12 février 2021 sur une plateforme en ligne à destination des agents du ministère de la Culture, à l'occasion du projet Camus qui vise à réorganiser les bâtiments de l'administration centrale du ministère.

Marie Crabié
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