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Vie au bureauAlors que l’autonomie des salariés permise par le numérique au travail ne cesse de grandir, plusieurs architectes et spécialistes du travail reviennent sur la prégnance et le besoin d’espaces de rassemblement et de partage au travail.
Jeune homme dans un café, travaillant depuis son ordinateur portable © Austin Distel
Jeune homme dans un café, travaillant depuis son ordinateur portable © Austin Distel
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«Dans l’avenir, toutes les activités humaines seront concernées par l’informatique, à laquelle on aura recours comme aujourd’hui l’on utilise, sans même y penser, l’électricité, le gaz, la télévision ou le téléphone.» Si ces prédictions sonnent étrangement comme un «remake» de Retour vers le futur, elles sont pourtant le fait d’une personnalité qui n’a rien d’une fiction.

Ministre délégué auprès du premier ministre chargé de la recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales, Robert Galley prend la plume en décembre 1968 dans Le Monde Diplomatique pour, dit-il, décrypter «le développement foudroyant de l’informatique, une sorte de révolution.» Pour lui, c’est sûr :

“Aucun des secteurs de l’entreprise n’échappera à l’emprise de l’informatique.”

C’était comment, avant Internet ?

Plus de 50 ans plus tard et suite à une longue période de télétravail imposé, force est de constater que cette révolution a bien eu lieu, non seulement par l’arrivée de l’informatique dans les bureaux mais aussi celle d’Internet une vingtaine d’années plus tard. Dans son article Nos métiers, quand Internet et le télétravail n’existaient pas publié sur le magazine en ligne slate.fr, la journaliste Camille Belsœur se fait ainsi l’écho d’un monde que «plus personne n’imagine sans Internet».

Une libraire utilise un ordinateur IBM, 1987 © National Cancer Institute

«Comment ferait le livreur à vélo pour déposer trois plats en une heure sans son application GPS ? Comment un trader pourrait-il suivre les cours des marchés boursiers depuis son salon sans un écran connecté? Comment, sans Google, le journaliste de BFM trouverait-il en quelques minutes des experts pour remplir un plateau télé en cas d’actualité brûlante ?», s’interroge-t-elle encore. Du trader au journaliste en passant par le coursier, tous les métiers ont ainsi vu leur organisation profondément bouleversée par l’arrivée de l’informatique.

Les deux phases de la révolution numérique

«L’informatique transforme les services dans les grandes entreprises dès les années 1970-80 avec l’apparition du micro- ordinateur, détaille Patrice Flichy, professeur de sociologie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Avec l’arrivée d’Internet à la fin des années 1990, les ordinateurs vont ensuite être connectés en réseau. À partir de là, on peut diviser la révolution numérique en deux phases : à la fois elle apporte plus d’autonomie pour le travailleur, mais elle permet aussi plus de moyens de surveillance pour l’employeur.»

Auteur de l’ouvrage Les nouvelles frontières du travail, le spécialiste estime en effet que pour une partie de la population, la multiplication des plateformes numériques modifie la forme même du travail. «Au lieu d’avoir un patron, on a un algorithme, avec tout ce que ça comporte, c’est-à-dire pas de prise en compte des accidents du travail ou des prestations sociales par exemple.»

© Mario Gogh

Pour un grand nombre de métiers intellectuels en revanche, le numérique «pousse les gens à travailler de façon indépendante au sein d’une entreprise ou en tant qu’auto-entrepreneur» affirme Patrice Flichy, créant ainsi «un continuum entre activités professionnelles et passions personnelles». Il explique : «Le numérique offre à chacun des outils qui sont identiques dans le monde professionnel et personnel, ce qui va venir brouiller les frontières entre travail et loisirs.»

Cette indépendance acquise par le salarié grâce à l’usage du micro-ordinateur n’est pourtant pas du goût des premières directions informatiques. «L’arrivée des micro-ordinateurs dans les bureaux s’est d’abord faite contre les directions informatiques, raconte Patrice Flichy, car ces nouveaux outils permettaient une grande autonomie en comparaison aux grosses machines contraignantes qui par définition ne pouvaient sortir des bureaux.»

Du bureau fixe au bureau nomade

À l’inverse aujourd’hui, «même dans les locaux de travail, on ne travaille plus forcément à son bureau physique», remarque Guillaume Relier de l’agence R Architecture co-fondée avec Alice Wijnen. En charge de l’opération de reconfiguration et d’aménagement de l’immeuble des Bons Enfants, siège de l’administration centrale du ministère de la Culture, le duo s’est exclusivement intéressé aux espaces partagés par les agents.

«Notre intervention s’arrête à la porte des bureaux individuels, précise-t-il, elle a ainsi porté sur l’aménagement des salles de réunion et des espaces de travail collaboratif pour les agents qui travaillent sur place mais aussi pour ceux qui sont de passage.» Dits «nomades», ces collaborateurs ponctuels doivent en effet pouvoir disposer d’un véritable lieu dédié «plutôt que d’un simple hall d’accueil», assure Guillaume Relier.

Entre autres réponses apportées par le duo d’architectes à ces nouveaux modes d’organisation du travail, l’aménagement d’un vaste espace central — il fait la connexion entre les deux bâtiments historiques — ouvert et partagé à chaque étage renommé les «Salons Saint-Honoré». En lieu et place d’anciennes salles d’archivages et de documentation «sous-pratiquées», ces salons se déploient comme une plateforme d’accueil à mi-chemin entre travail, pause café et réunion. «On y retrouve des assises pour passer un appel téléphonique, des salles de réunion dites des bulles ou encore une grande table connectée pour accueillir les agents de passage», résume ainsi Guillaume Relier.

Créer du lien par le lieu

«Bien que notre intervention porte sur des aspects très concrets d’aménagement des espaces de travail en s’intéressant à la matière et aux ambiances de convivialité et de partage, elle a tout à fait à voir avec l’hyper-numérisation des modes d’organisation du travail», constate-t-il. En témoigne d’ailleurs la «galaxie» de salles de réunion imaginée dans le cadre du projet : chacune de taille différente, les salles sont toutes connectées et systématiquement équipées de murs écritoires, filmés et retransmis en direct. L'architecte reprend :

“On a toujours cette double préoccupation de l’ambiance, du confort physique de la salle, et en même temps de sa connectique. La question étant de savoir comment on peut retransmettre en direct ces réunions, et ainsi se connecter partout en France ou avec le reste du monde.”

Au-delà du seul ministère de la Culture, de nombreuses réflexions sur l’aménagement des locaux de travail des agents de la fonction publique sont menées à l’échelle de la région Ile-de-France. Dès 2018, le laboratoire d’innovation publique La Fabrique RH, en collaboration avec la Direction interministérielle de la Transformation Publique s’interroge sur le «bureau du futur» à travers débats, conférences et ateliers. Trois ans plus tard, ces réflexions donnent naissance au projet ETAP (espace de travail des agents publics) qui ouvrait ses portes en novembre 2020, au cœur des locaux de la direction régionale aux Affaires Culturelles (DRAC).

© Duc Dao

Fruit d’une concertation inter-fonction publique et porté par la chargée de mission innovation et transformation publique Marine Beck, le projet vise à offrir un espace de travail et de collaboration aux agents publics dits «nomades, télétravailleurs et porteurs de projets», rapportait-elle auprès de profilpublic.fr. palliant ainsi au «manque de confiance qui fait souvent obstacle au nomadisme».

«Le travail à la maison génère encore souvent des fantasmes, avance-t-elle. En créant un lieu de travail intermédiaire, estampillé “service public” notre volonté est de créer un espace alliant confiance et créativité». Une toute première étape dans la construction d’un nouveau rapport au travail dans le service public assure la chargée de mission, qui augure de nouvelles réflexions et «un nouveau modèle demain».

Cet article, rédigé par la rédaction de tema.archi, a été initialement publié sur une plateforme en ligne à destination des agents du ministère de la Culture, à l'occasion du projet Camus qui vise à réorganiser les bâtiments de l'administration centrale du ministère.

Marie Crabié
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