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MagazineQui n'a pas déjà maudit un bâtiment pour son manque d'indication et de repère ? Un étage mal renseigné ou une flèche énigmatique, et l'expérience d'un lieu se transforme en angoisse. À l'origine de ces signes, la signalétique comporte de nombreux enjeux, à la croisée de l'architecture, du design et du bon sens. Décryptage.*
Hall d'entrée, projet Villarte pour RTE - Arch. AFAA Architecture, signalétique : Bureau 205 © Jérôme Ricolleau
Hall d'entrée, projet Villarte pour RTE - Arch. AFAA Architecture, signalétique : Bureau 205 © Jérôme Ricolleau
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N’avez-vous jamais été à deux doigts de louper votre train en essayant de trouver le quai en vain ? Ne vous êtes-vous jamais perdu dans les dédales d’un musée ou d’un hôpital à la recherche de la sortie ? Pourquoi certains panneaux sont-ils si mal disposés que l’on ne les distingue pas ?

À en croire les commentaires d’usagers de lieux, publics comme privés, et les anecdotes rapportées par l’entourage de chacun, il semblerait que ce soit notre lot à tous. «La signalétique, ça rend les gens fous, c’est urticant pour le public, commente Laurence Guichard. Aujourd’hui on sait que l’expérience d’un lieu passe principalement par notre capacité ou non à le parcourir sans embûche», poursuit-elle.

Espace parking, projet Work in Park - Arch. AFAA Architecture, signalétique : B205 © Jérôme Ricolleau

De son propre aveu, cette consultante en signalétique, formée initialement à la communication, s’amuse de ses lacunes à s’orienter dans un espace. «Je suis du style à rapidement paniquer quand je ne trouve pas mon chemin, comme beaucoup de personnes, concède-t-elle, et c’est d'ailleurs pour cette raison que je me suis mise, dans le cadre de mon métier actuel, au service du bon sens pour aider le plus grand nombre d’usagers à comprendre l’architecture d’un lieu.»

Aller au-delà du simple marquage sur du Plexiglas

D’un rêve non abouti de devenir architecte, Laurence Guichard fonde le bureau d'études signalétiques Locomotion à Paris en 2005, au moment où paraît la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Son objectif : permettre à tout le monde, sans distinction, de pouvoir accéder, circuler et recevoir les informations diffusées en toute autonomie dans des bâtiments recevant du public, qu’ils soient tertiaires, culturels, administratifs ou hospitaliers.

La signalétique, défini dans la loi comme l’une des «7 zones clés de l'accessibilité du bâti» constitue pourtant le parent pauvre des réflexions portées à l’époque, selon Laurence Guichard :

«À ce moment-là, il y avait un manque cruel de réflexion et d’analyse signalétique alors qu’il s’agit pourtant d’un enjeu crucial de compréhension et de circulation dans un lieu.»

Il n’est alors pas rare que les agences d’architecture se contentent d’un «simple marquage sur du Plexi[glas], illustre-t-elle, et il n’existe aucune formation spécifique à la discipline.»

Près de 15 ans plus tard, les choses vont toutefois dans le bon sens estiment les spécialistes interrogées. Architectes et maîtrises d’ouvrages semblent davantage investis sur la définition de signalétiques pertinentes dans les projets, aussi bien pour assurer une forme de confort d’usage des bâtiments, que pour répondre aux nombreuses normes et exigences techniques. «On est de plus en plus sollicités au moment du concours, se réjouit Laurence Guichard, ce qui nous permet d’anticiper et d’être d’emblée embarqués dans l’équipe du projet.»

«Les architectes ont aujourd’hui conscience de l’intérêt de l’intégration de la signalétique le plus tôt possible dans leur projet, réagit la designer Florence Roller, associée du Bureau 205 basé à Lyon. Ils n’ont pas envie que la signalétique vienne défigurer leur bâtiment», assure-t-elle.

Une vision globale du projet

Car les enjeux de la signalétique sont multiples : permettre l’accessibilité des espaces et la compréhension des signes à tous, assurer la sécurité des usagers en cas d’évacuation d’urgence, tout en embrassant l’architecture des lieux et le langage qui s’y déploie.

«C’est une discipline très complexe et très horizontale qui implique non seulement une analyse des flux d’un bâtiment mais aussi une réflexion sur le design et le graphisme des pièces, développe Laurence Guichard, ce qui nécessite une coordination avec de nombreux acteurs et corps de métier.» Designer, architecte, graphistes, fabricants de pièces : pour la consultante, tous ces corps de métier s’imbriquent nécessairement pour aboutir à un «projet qui fonctionne».

«La signalétique nécessite une vision globale des projets, une exigence et un souci du détail», abonde Florence Roller, qui développe, en collaboration avec le designer Damien Gautier, des missions de direction stratégique et artistique ainsi que de création graphique. Leur crédo : proposer une signalétique qui combine une démarche fonctionnelle et esthétique.

«Lorsque l’on est sollicité sur les projets, on s’applique à proposer un dessin singulier qui entre en résonance avec l’architecture, à travers une intervention sobre mais qui doit aussi être signale et pertinente.»

Une attention particulière a été portée à l’interac­tion de la signalétique avec la mise en lumière du bâtiment à la nuit tombée © Bureau B 205

À chaque projet correspond ainsi une signalétique unique à partir d’«aucun produit sélectionné sur catalogue». Dessin, dimensions, matériaux : aucun élément ne doit être exogène à l’architecture du lieu. Certaines interventions sont d’ailleurs visibles dès la façade des bâtiments.

C’est notamment le cas du projet d’immeuble tertiaire Park View imaginé par l’agence d’architecture AFAA où de grandes lettrines blanches se distinguent depuis la rue. «C’est en partant du rythme de la trame présente sur le parement de façade en céra­mique que le système signa­létique a été développé, raconte Florence Roller. La largeur de la typographie et des éléments graphiques est très exactement celle des joints creux du parement.»

Un vocabulaire commun

Pour le duo, la signalétique doit à la fois répondre à une exigence de visibilité, notamment par l’apport de «couleurs signal» qui attirent l’attention, mais aussi de lisibilité, grâce au choix réfléchi de caractères spécifiques issus du catalogue de leur propre fonderie typographique.

En témoigne notamment leur intervention sur les 14 130 m² du bâtiment Villarte à Lyon réalisée en 2017, qui accueille les bureaux du Réseau de transport d’électricité (RTE). Les designers y proposent des modules ponctuels, tantôt en suspension pour dégager le sol, tantôt par une réflexion sur la transparence des espaces et des couleurs référence. «L’ajout de couleur dans certains espaces de convivialité et de circulation répond, dans ce projet, à une volonté de confort mais aussi de direction et de repère pour les usagers du bâtiment», commente Florence Roller. Le tout, là encore, pensé en cohérence avec l’architecture intérieure du bâtiment.

Dans les étages, un travail spécifique a été mené sur la “faille vitrée” présente au niveau des paliers d’étage, véritables espaces de convivialité et de connexion entre services et usagers © Jérôme Ricolleau

«Entre designers et architectes, nous partageons des codes, des manières de penser et un vocabulaire communs», achève-t-elle. «La rencontre avec les architectes permet de déterminer le message et le concept déployé dans le cadre du projet, soutient de son côté Laurence Guichard, c’est ce qui permet à mon sens de proposer une cohérence du langage et du message dans le lieu, une même charte, et ce jusqu’aux supports de communication comme le site internet d’une institution par exemple.»

Charte, langage, message : ici, les mots ne sont pas anodins. Laurence Guichard, qui a aussi bien travaillé sur des projets de musée (MUCEM, à Marseille) que d’hôpitaux (Hôpital Universitaire Pitié Salpétrière, à Paris) ou encore de bureaux (siège social de Danone, à Paris), préfère d’ailleurs parler de signes, car ouverts à la compréhension de tous, qu’il s’agisse d’un jeune enfant, d’une personne handicapée mentale, déficiente visuelle ou encore étrangère. «Une flèche installée dans le bon sens au bon endroit peut dire beaucoup sans avoir besoin de mot, qui sont beaucoup plus réducteurs», appuie-t-elle. Et de conclure : «En signalétique, ce qui compte c’est de revenir aux bases de la compréhension de tous.»

*Cet article, rédigé par la rédaction de tema.archi, est initialement rédigé à l'occasion du projet Camus qui vise à réorganiser les bâtiments de l'administration centrale du ministère pour publication sur une plateforme en ligne à destination des agents du ministère de la Culture.

Marie Crabié