Valoriser le quotidien des habitants de ses logements, c'est l'un des objectifs de l'architecte Bernard Bühler, installé à Bordeaux et Paris. Connu pour ses réalisations colorées et de nombreuses opérations de logement social, il réaffirme l'importance pour l'architecte aujourd'hui d'apporter de la gaieté et de la douceur dans le quotidien des citadins. Entretien.
tema.archi : Lorsque que vous réalisez un bâtiment de logement, quelle importance accordez-vous à son aspect esthétique ?
Bernard Bühler : Pour moi, tout importe dans un projet. Dans les espaces intérieurs, il est important de pouvoir retrouver tout ce dont on a besoin pour bien vivre c’est-à-dire un logement traversant, de grands espaces extérieurs, des espaces qui permettent d'avoir une certaine intimité mais aussi des espaces de vie lumineux. Avoir une vraie cuisine, un vrai cycle du linge pour savoir où est-ce qu’on le lave, le sèche, le repasse et le stock. Si ces réflexions paraissent simples, elles ne sont pour autant pas appliquées à tous les logements construits aujourd'hui. Au contraire, ils sont de plus en plus restreints, sans placard, avec le strict minimum pour organiser la vie quotidienne.
L’intérieur est donc capital mais il l’est tout autant que l’extérieur car c’est ce qui valorise les gens, ce qui leur permet de montrer leur bâtiment et de pouvoir être fiers de dire «j’habite là». Pour moi, la notion du beau est aussi importante à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment : les deux ne s'opposent pas mais se complètent. À une époque on faisait de magnifiques halls d’entrée, des couloirs, de beaux espaces partagés. Ce ne sont pas des choses que l’on peut négliger et d'autant plus dans le logement social. Selon moi, plus on éduque les gens au beau, plus on aura envie de beau.
Vos bâtiments sont très souvent colorés, est-ce une des manières d’apporter du beau dans la ville selon vous ?
J’aime souvent citer Baudelaire sur cette question de la couleur. Dans son poème «Le Mauvais Vitrier», il râle après un vitrier qui se balade dans un quartier populaire et n’a pas de «vitres de couleurs qui lui fassent voir la vie en beau» à vendre. Pour moi, la couleur c’est ça. Quand notre environnement est gris et morose, la couleur peut apporter de la gaieté aux habitants d’une ville.
Résidence Arc-en-ciel à Bordeaux - Arch. Bernard Buhler © Agence Bernard Buhler
À ce sujet, je me rappelle d'un habitant de l'une des résidences que j'ai conçue à Bordeaux : le projet Arc-en-ciel. On y retrouve des lames de couleurs qui ont récemment dû être changées. Cet habitant s'en est plaint précisément parce qu’il appréciait ces couleurs et n'était pas satisfait de ce changement. Vous voyez dans un cas comme celui-ci, je pense que la couleur apporte quelque chose dans le quotidien de cet homme.
Le beau passe-t-il forcément par une forme de «geste architectural» ?
Je ne sais pas si on peut parler de geste, mais je ne l’entends pas d’un point de vue péjoratif. J’ai envie que l’architecture nous étonne et nous ravisse. Je pense que l’architecture est aussi là pour ça et que le geste n'est jamais gratuit, il a un sens.
Le problème aujourd'hui, c’est que l'on retrouve la belle architecture principalement dans les livres et qu’elle ne représente que 5% de la création de tout ce qui se construit sur notre planète, qui est, il faut le dire, souvent très médiocre. Il y a des architectes de grand talent qui nous émerveillent et nous surprennent, ça nous apporte de la douceur et je pense que c’est important.
Est-ce le rôle de l'architecte aujourd'hui, d'apporter de la douceur dans nos quotidiens ?
Pour moi qui suis architecte, fabriquer une belle ville est essentiel. Quand je me balade, je suis souvent interpellé par la laideur qui nous entoure. Si vous allez dans les beaux quartiers du centre de Paris, les quartier touristiques notamment, la ville y est belle. Mais Paris ce n’est pas que ça, c’est aussi une certaine laideur lorsqu’on se déplace vers les quartiers périphériques, et c'est le cas dans de nombreuses autres villes de France. Je pense qu'il y a beaucoup d'endroits où l'on aurait tous honte d’aller et encore plus d’habiter.
Pour ma part quand je conçois du logement, et d’autant plus du logement social, j’essaye de donner aux autres ce que je voudrais pour moi, en tant qu’habitant. C’est comme ça que j'essaie de travailler.
* Cet entretien a été réalisé et publié initialement à l'occasion de la 5e édition des Journées Nationales de l'Architecture qui, en 2020, mettait à l'honneur l'architecture du quotidien.