Historien de l’art de formation, Stefan Cornic est un réalisateur passionné par la ville, l’architecture et le cinéma. En 2020, il lance Le Grand Paris des écrivains, une collection de courts-métrages documentaires produite par le Pavillon de l’Arsenal et Année Zéro (et présentée jusqu'au 8 janvier 2023 au Pavillon de l'Arsenal). Divisée en trois saisons, ces films invitent des auteurs et autrices contemporains à mettre en récit des espaces, lieux et bâtiments du Grand Paris.
Ce spécialiste de l’image revient sur cinq films qui ont marqué son rapport à l’architecture et sa sensibilité à l’environnement urbain.
«Études sur Paris» par André Sauvage (1928)
Affiche du film "Études sur Paris" d'André Sauvage © Carlotta Films
Dans Études sur Paris, André Sauvage dépeint le portrait de la capitale dans les années 20. Réalisé en 1928, le long-métrage s’inscrit, selon Stefan Cornic, dans la lignée des « symphonies urbaines », avec L’homme à la Caméra de Dziga Vertov à Odessa (1929), Manhatta de Paul Strand et Charles Sheeler à New York (1921), ou Berlin symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann sur la capitale allemande (1927).
« Dans tous ces films, la ville nourrit le langage cinématographique qui s’invente à cette époque. La caméra est embarquée sur des trains, des bateaux, des voitures et des aéronefs en marche pour saisir les rythmes de la ville autrement avec des vues en plongée ou en contre-plongée. Si André Sauvage ne rivalise pas totalement avec l’aspect ludique du montage de Vertov, il dévoile Paris avec beaucoup de poésie et l’enregistre avec sa caméra comme jamais jusque-là.
Le film est composé de plusieurs parties qui montrent aussi bien le Vieux Paris que le Paris Haussmannien, le Paris industriel, le Paris en construction ou le Paris des faubourgs. C’est un témoignage précieux et le type de film qui m’a fait rêver de devenir réalisateur, de filmer la ville à mon tour », confie Stefan Cornic.
Étude sur Paris d’André Sauvage, à retrouver en VOD sur Apple TV, FilmoTV et édité en DVD chez Carlotta Films.
«Le petit fugitif» de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley, (1953)
Affiche de "Le petit fugitif" de Morris Engel © Carlotta Films
« Quand j’ai découvert ce film, dans un cinéma du Quartier latin, j’ai été fasciné. J’étais étudiant en histoire de l’art, j’affectionnais plutôt la street photography américaine des années 50-60 et j’avais l’impression de voir de la photographie de rue en film », raconte Stefan Cornic.
Le petit fugitif relate la fuite du jeune Joey, 7 ans, victime d’une mauvaise blague de son grand frère. Pensant avoir tué son aîné, Joey s’engouffre dans le métro new-yorkais et finit par errer durant un jour et une nuit dans la célèbre plage dédiée aux manèges de Coney Island.
« Le film a été réalisé avec 35 000 dollars en 1952, en décor naturel, au milieu des vrais passants, commente Stefan Cornic. Pour pouvoir réaliser ce film de manière si libre et être en mesure de suivre l’enfant sans se faire remarquer Morris Engel avait mis au point une petite caméra 35mm, mobile, qu’il pouvait porter à hauteur de hanche, comme son Rolleiflex de photographe, inventant au passage une sorte de steadicam avant l’heure. Cela lui a permis de filmer à hauteur d’enfant et de capter l’imprévu. Il a totalement transposé son approche de photographe de rue à sa manière de faire du cinéma, raconte le réalisateur. Le petit fugitif revisite les grands genres cinématographiques américains avec humour et il est surtout une plongée dans le New York populaire des années 50, sans fard ni artifice. »
Le petit fugitif d’Engel, Orkin et Ashley, à retrouver en VOD sur Apple TV, Benshi , Amazon Prime Video, et Carlotta Films
«Mamma Roma» de Pier Paolo Pasolini (1962)
Affiche du film "Mamma Roma" de Pier Paolo Pasolini © Carlotta Films
«Je n’ai pas revu Mamma Roma depuis des années mais ce film m’a profondément marqué par son histoire et la puissance des lieux dans lesquels Pasolini a tourné », avoue Stefan Cornic. Mamma Roma est une prostituée romaine d'une quarantaine d'années, qui pensant être libérée de son jeune souteneur, Carmine, se marie et reprend avec elle son fils Ettore, âgé de 16 ans. Ils s’installent alors dans une cité nouvelle du quartier Don Bosco, « caractérisée par les habitations modernes en construction et la persistance des ruines antiques. Modernité en construction et puissance du passé sont entremêlés », détaille Stefan Cornic.
« L’adolescent traîne avec les autres jeunes sur les terrains vagues aux lisières de la ville en pleine expansion. Il y découvre l’amour, les rapports de domination, la violence… Pasolini enregistre les mutations de la forme physique de la ville éternelle en dialogue avec l’état transitoire vers l’âge adulte et les perspectives d’une ascension sociale, en réalité vaine. »
Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini, à retrouver en VOD sur LaCinetek et en DVD dans le cadre d'un coffret édité par Carlotta Films
«Permanent Vacation» de Jim Jarmusch (1980)
Affiche du film "Permanent Vacation" de Jim Jarmusch © D.R.
Jim Jarmusch lance sa carrière de réalisateur avec Permanent Vacation, son film de fin d’études. Stefan Cornic se remémore la scène d’ouverture, durant laquelle le réalisateur met en parallèle des passants au ralentis dans les rues de Wall Street et la démarche « quasi féline d’un jeune graffeur dans la jungle des rues délabrées du downtown new-yorkais ».
« Il confronte deux New York : le New York vertical des golden boys à celui en ruine et underground dans lequel son personnage principal évolue. Ce film est un film-errance comme je les adore. Il n’y a pas vraiment d’histoire, mais une succession de rencontres faites au gré des déambulations, des « dérives » du protagoniste dans la ville. C’est dans ce film que Jim Jarmusch met en place son travelling latéral qui deviendra sa signature, ce travelling latéral qui permet de suivre son personnage et de dévoiler à l’arrière-plan l’atmosphère de la ville dans laquelle il ou elle avance ; ici New York, plus tard la Nouvelle-Orléans, Memphis ou Detroit. La flânerie est pour moi indissociable de regard que je porte sur une ville et Permanent Vacation en est un exemple flamboyant. »
Permanent Vacation de Jim Jarmusch, à retrouver en VOD sur Amazon Prime Video et UniversCiné.
«Still Life» de Jia Zhangke (2006)
Affiche du film "Still Life" de Jia Zhang Ke © D.R.
Jia Zhang-Ke articule son cinéma autour des transformations de la Chine du début du XXIe siècle. Still Life conte l’histoire de deux quêtes amoureuses qui se croisent dans la ville de Fengje, en amont du barrage des Trois Gorges.
« Comme le spectateur l’apprend par la voix d’un haut-parleur du bateau qui nous fait avancer sur le Yangtze pour arriver à la ville, le niveau du fleuve est amené à monter de plus de 100 mètres, ce qui aura pour conséquence d’engloutir la ville historique. Dans ce paysage changeant, entre les ruines des démolitions de la ville basse et les constructions modernes de la ville haute où vit la nouvelle classe sociale du miracle économique chinois, nous suivons deux personnages, un mineur qui vient chercher son ex-femme et sa fille qu’il n’a pas vu depuis près de deux décennies et une femme sur les traces de son mari dont elle n’a plus de nouvelle. Les personnages tentent de renouer avec leur vie passée au milieu des chamboulements de la ville qui sera très bientôt disparue, relate Stefan Cornic, Jia Zhang-Ke montre admirablement bien les conséquences des métamorphoses extrêmement rapides et récentes de la Chine sur les paysages et les êtres. »
Still Life de Jia Zhangke, à retrouver en VOD sur LaCinetek et UniversCiné.