Si vraiment ce nom ne vous dit rien, alors vous allez être servi. La France s’apprête à vivre dans les prochaines semaine une déferlante Frank Gehry. Dans tout juste un mois, la Fondation Louis Vuitton sera inaugurée à Paris, tandis que quelques jours auparavant va s’ouvrir au Centre Pompidou sa « première grande rétrospective en Europe ». Retour sur la carrière du papy « starchitectes » en dix points clés, pas forcément connus de tous. - Article paru initialement le 16 septembre 2015
Fondation Louis Vuitton – Frank O. Gehry and Associates – Photo : Iwan Baan
1/ AVANT DE DESSINER DES MAISONS, IL A CONDUIT DES CAMIONS
Le jeune Frank s’est beaucoup cherché avant de s’engager sans trop de convictions dans des études d’architectures, il a même tenté une carrière d’animateur radio, rapidement avortée. Tandis qu’il étudiait à l’université de Los Angeles, il a également travaillé en tant que chauffeur-livreur :
“I didn’t remember that until I was struggling and struggling with what I wanted to be when I grew up. I was a truck driver in L.A., going to City College, and I tried radio announcing, which I wasn’t very good at.”
Interview de Frank Gehry pour le site web de l’American Academy of Achievement, juin 1995
Croquis préliminaire du projet de la Fondation Louis Vuitton signé par Frank Gehry, avril 2006 – © Gehry Partners, LLP and Frank O. Gehry
2/ IL A CHANGÉ DE NOM JUSTE APRÈS SES ÉTUDES
A la demande de sa femme, qui craignait que leurs enfants soient victimes de racisme, Frank Owen Goldberg se fait appeler Gehry en 1965, une fois ces études terminées.
“J’ai fait mes études à l’université de Californie du Sud, à Los Angeles, en plein maccarthysme. Une période où l’antisémitisme était très répandu. J’ai été exclu de certains cours par d’autres étudiants parce que j’étais juif. Ma première femme est tombée enceinte à cette époque. Elle était très inquiète de mettre un enfant au monde dans cette psychose. C’est elle qui m’a demandé de changer de nom. Je ne voulais pas. Cela rendait mon père furieux. J’ai finalement cédé, mais seulement après avoir été diplômé. Jusqu’au dernier jour de l’école, je suis resté Goldberg. Je suis devenu Gehry quand j’ai démarré ma carrière professionnelle.”
Interview de Franck Gehry sur le site web de l’Express, février 2010
Wall Disney Concert Hall, 1987-2003, Los Angeles – Frank Gehry – © Gehry Partners LLP
3/ IL A (UN PEU) APPRIS L’ARCHITECTURE EN FRANCE
Au début de sa carrière dans les années 60, il a travaillé à Paris durant un an avant de retourner en Californie. Durant la construction de la fondation Louis Vuitton, on dit qu’il venait en France plusieurs fois par an.
“Oui j’ai vécu ici ; j’ai travaillé à Paris, dans l’atelier de l’architecte Robert Auzelle, sur le plan-masse de Vélizy-Villacoublay. Pour le général de Gaulle, figurez-vous ! J’ai aussi été dans l’agence Candilis, Josic et Woods. C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser à l’art roman. J’allais à Vézelay, à Autun, au Thoronet, dans le sud de la France… J’y retourne régulièrement.”
Interview de Frank Gehry sur le site de Paris Match, juin 2011
Vitra International Furniture Mnufacturing Facility and Design Museum, 1987-1989, Weil am Rheim – Frank O. Gehry and Associates – Photo : Thomas Meyer
4/ SA PRINCIPALE INSPIRATION EST UNE CARPE
Les mouvements rapides du poisson, autant que la texture de ses écailles se retrouvent dans l’architecture de Gehry, parfois même il s’en inspire encore plus littéralement. Toujours est-il que c’est chez sa grand-mère qu’il en fait la connaissance.
“Ses bâtiments comme le monde de l’architecture, perplexe ou fasciné par ce gigantisme en mouvement, inspiré en partie par son obsession du poisson. De la carpe plus précisément, que sa grand-mère conservait dans la baignoire avant de la farcir pour le dîner du shabbat. Et qu’il regardait, pendant des heures, captivé par ses ondulations.”
Portrait de Frank Gehry par Louise Couvelaire dans M le magazine du Monde, septembre 2014
Nationale-Nederlanden Building, 1992-1996, Prague – © Gehry Partners LLP
5/ IL N’EST PAS (TOUT SEUL) A L’ORIGINE DE L’EFFET BILBAO
On parle d’effet Bilbao pour décrire la renaissance économique d’une ville grâce à l’érection d’un bâtiment « fort ». La ville de Bilbao, condamnée par la désindustrialisation a en effet connu un renouveau économique depuis l’implantation du musée Guggenheim conçu par Frank Gehry. Mais on oublie qu’au delà du bâtiment symbolique, il y a eu à Bilbao une réorientation de l’économie vers l’industrie du tourisme qui s’est mise en place dix ans avant la construction de Gehry.
Lire à ce propos : L’effet Bilbao, mythe et réalité, par Pascal Guillon
Musee Guggenheim Bilbao, 1991-1997 – Frank O. Gehry and Associates – Photo : Philippe Migeat, Centre Pompidou
6/ IL A REFUSÉ UNE MEDAILLE CRÉÉE PRESQUE POUR LUI
En décembre 2007, le ministre de la culture d’Andorre créé l’ordre de Charlemagne, destiné à récompenser les personnes qui se sont distinguées pour l’Etat d’Andorre. Outre l’écrivain José Luis Sampedro, le nom de Frank Gehry est proposé tandis qu’il s’active sur la construction d’un bâtiment des archives nationales. Mais le projet se complique (il est encore aujourd’hui « en pause »), les relations entre le gouvernement d’Andorre et Gehry se tendent si bien qu’il refuse la médaille, qui ne sera d’ailleurs plus attribuée depuis, laissant José Luis Sampedro seul promu de cette décoration.
7/ IL AVAIT LE MÊME PSY QUE SYDNEY POLLACK ET BLAKE EDWARDS
Milton Wexler était un analyste réputé en Californie, connut notamment pour sa clientèle de célébrités. Il fut par exemple le psy de Sydney Pollack, qui l’a d’ailleurs mis en bonne place dans son documentaire sur Frank Gehry : Sketches of Frank Gehry (2006). On y entend Wexler lui-même dire à propos de Gehry qu’il « est devenu adulte grâce à son analyse »
Cleveland Clinic Lou Ruvo Center for Brain Health, 2005-2010, Las Vegas – Photo : Iwan Bann
8/ IL EST QUASIMMENT POTE AVEC HILLARY CLINTON
Il semblerait qu’Hillary Clinton soit assez fan du travail de Frank Gehry. Elle avait notamment fait référence à l’architecte dans un discours métaphorique dans lequel elle déclarait : «Il fut un temps où quelques solides colonnes pouvaient soutenir le poids du monde. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un mélange dynamique de nouvelles structures et de nouveaux matériaux.»
“Un hommage qu’elle a réitéré dans ses Mémoires, Hard Choices (Le Temps des décisions, Fayard, juin 2014). Touché, flatté, Frank Gehry s’est empressé de prendre sa plume pour la remercier. «Je lui ai écrit que je serai son esclave pour la vie», dit-il, un petit sourire en coin.”
Portrait de Frank Gehry par Louise Couvelaire dans M le magazine du Monde, septembre 2014
La Cinémathèque Française – Frank O. Gehry and Associates – Photo : johnwilliamsphd (CC-BY-NC-SA)
9/ IL A COLLABORÉ AU PLUS GROS RATAGE CULTUREL DE PARIS
En attendant l’ouverture de la fondation Louis Vuitton, les Parisiens ne connaissent de Gehry que la Cinémathèque Française, installée dans le Parc de Bercy. Mais savent-ils aussi qu’avant d’abriter toutes ses pellicules, le lieu était le siège de l’American Center, un centre culturel américain. Le bâtiment a ouvert ses portes en grandes pompes en juin 1994… pour annoncer sa fermeture dix-huit mois plus tard. En 2003, la Cinémathèque s’y installe, quelques années après l’incendie du Palais de Chaillot qui avait faillit détruire les oeuvres du musée du cinéma.
10/ SON NOM EST L’ANAGRAMME DE « YAK RENFROGNÉ »
Même si on ne sait pas vraiment ce que ça signifie, et puis il reste les lettres w et h en rab… Mais bon « 10 choses que vous ne savez pas sur Frank Gehry » ça sonne toujours mieux que « 9 choses que vous ne savez pas… ». Non ?
Image : Dennis Jarvis (CC-BY-SA)