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ParutionPierre Lebrun est architecte et historien de l’architecture. Il nous livre un texte inédit pour présenter son dernier ouvrage, une traduction de "Architectural Judgement" du critique américain Peter Collins, paru initialement en 1971.
Juger l'architecture, de Peter Collins, traduit de l'anglais par Pierre Lebrun aux éditions inFolio
Juger l'architecture, de Peter Collins, traduit de l'anglais par Pierre Lebrun aux éditions inFolio
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La question de la nature et de l’objet du jugement de l’architecture peut sembler une banalité puisque celle-ci est au cœur de la pratique quotidienne des architectes ou parce que les bâtiments édifiés s’offrent au regard critique de tous les passants qui parcourent l’espace urbain.

Pourtant l’architecte et historien de l’architecture Peter Collins a ressenti la nécessité de consacrer un livre au début des années 70 à cette question, ouvrage dont le propos conserve un caractère stimulant tant pour les concepteurs que pour les critiques de l’architecture.

Le jugement au coeur de la création architecturale

Dans Juger l’architecture Peter Collins souligne que la véritable essence de la profession d’architecte implique des jugements qui doivent être des évaluations critiques précises de la qualité globale d’un projet ou d’un bâtiment.

Ces jugements, remarque-t-il, sont une composante indispensable du processus de création de l’architecte puisque ce dernier soumet d’abord les schémas qu’il élabore à son propre sens critique en jouant à la fois le rôle du maître d’ouvrage et des futurs usagers tout en prenant en compte les règlements d’urbanisme et l’environnement du projet ; puis il expose ses plans au jugement des commanditaires ou des membres de jurys ; enfin, lorsque l’édifice est construit, ce dernier peut être l’objet d’analyses et d’évaluations par les critiques d’architecture ou parfois par des sociologues ou des anthropologues.

L’objectif de Collins, en s’attachant à montrer l’importance que joue le jugement dans la conception et l’évaluation de l’architecture, est de faire valoir que la profession d’architecte comporte des analogies – mais aussi des différences - avec les métiers relevant de l’application du droit, essentiellement anglo-américain.

Car l’architecture, estime Collins, a plus à voir avec les professions qui relèvent du droit ou de la médecine qu’avec les pratiques artistiques des peintres ou des sculpteurs et l’objet de cet ouvrage est d’en montrer les raisons.

“L’architecture a plus à voir avec les professions qui relèvent du droit ou de la médecine qu’avec les pratiques artistiques”

En effet, souligne-t-il, ces derniers créent essentiellement en fonction de leurs désirs, leurs réalisations ne sont pas assujetties à des contraintes ou des attentes sociales et n’ont pas l’obligation de s’adapter à des lieux précis.

Au contraire, souligne Collins, le processus de création des architectes doit réduire au minimum la part de subjectivité des concepteurs. Pour cela il doit en particulier rechercher dans l’histoire de l’architecture des réalisations ayant répondu à des programmes similaires à ceux des constructions projetées en prenant en compte les différents aspects sociaux ou urbains qui sont en jeu et en composant avec le milieu architectural au sein duquel s’insèreront les bâtiments imaginés.

Or dans le cadre du droit jurisprudentiel Collins observe que l'accent est mis sur le principe de précédent, c’est-à-dire de référence à des décisions prises par une cour de justice par le passé, même lointain, mais dont les principes - quel que soit le contexte historique - sont jugés analogues à ceux d’une affaire contemporaine.

Cette notion de précédent apparaît centrale pour Collins car il juge qu’il serait pertinent d’en transposer l’usage dans la culture des architectes. Selon lui, ce concept pourrait remplir un rôle utile quand ces derniers conçoivent un projet en les conduisant à comparer leurs intuitions architecturales à des réalisations antérieures basées sur des programmes similaires non pas tant du point de vue des formes et de l’aspect extérieur qu’au regard des principes qui ont présidé à leur conception.

L’architecture au service des besoins et des usages

En fait Collins défend avec cet ouvrage une posture de modération en matière de création architecturale car il estime que l’architecte ne doit pas avoir pour ambition de créer des objets célibataires et insolites dans la ville mais de concevoir des édifices qui, répondant au mieux aux besoins et aux usages sociaux, s’inséreront avec aménité et discrétion dans le cadre urbain environnant.

Ce point de vue, à une époque où la médiatisation de l’architecture contemporaine ne s’attache souvent qu’à l’aspect plastique de bâtiments dont la taille et le dispositif constructif sont spectaculaires et extraordinaires, conserve toute son actualité.

Pierre Lebrun